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Cette réglementation, l’appuyait-il au moins, comme l’Église, sur une très ancienne révélation religieuse ? ou, comme le Code, sur une tradition juridique qui remonte à travers les âges jusqu’au droit romain ? A défaut de révélation ou de tradition, avait-il un corps de doctrines philosophiques et morales, qui pût servir de base aux lois qu’il prétendait nous imposer ? Invoquait-il seulement le consentement universel ? En aucune manière : « Il s’agit, a-t-il écrit textuellement, d’avoir reçu de sa conscience ordre de faire telle ou telle action. » Des aphorismes de ce genre, même quand ils portent la signature d’un homme comme Alexandre Dumas fils, en arrivent évidemment à désarmer la contradiction. Que faut-il entendre par ce mot de conscience ? Sommes-nous sûrs que, derrière ces trois syllabes vénérables et pompeuses, ne se dissimulent pas assez souvent nos instincts, nos passions, nos préjugés, nos appétits, nos caprices, nos rancunes, toute la collection des sentimens obscurs qui, dans les profondeurs les plus intimes de notre être, préparent à notre insu nos pensées et nos actes ? N’avons-nous pas vu, en ces dernières années, une bande de fanatiques, qui « avaient reçu de leur conscience » l’ordre de détruire, par la dynamite ou par le poignard, ceux qu’ils considéraient, à divers degrés, comme responsables des misères humaines ? Et est-ce que chacun de ces criminels n’aurait pas pu reprendre implicitement à son compte, en des termes identiques, l’étonnant monologue de Claude, au moment où, « n’obéissant qu’à sa conscience », il s’apprête à exécuter Césarine d’un coup de fusil : « Il m’a semblé, ô mon Dieu, que vous me donniez l’ordre de substituer ma justice à votre justice suprême, et d’armer ma main de votre glaive redoutable. »

Sans doute, l’auteur de l’Homme-Femme a eu soin de nous avertir qu’il y a conscience et conscience ; car il y a « les hommes qui savent, c’est-à-dire quelques-uns, et les hommes qui ne savent pas, c’est-à-dire tous les autres. Et ce sont les premiers qui ont reçu mission de renseigner et de conduire les seconds. » L’inventeur de cette ingénieuse nomenclature ne se rangeait vraisemblablement pas lui-même dans la catégorie des seconds ; il se comptait parmi les premiers, parmi « ceux qui savent », parmi ceux qui mènent l’humanité « vers les vérités d’évidence ». Or, n’insistons pas, — ce qui serait trop facile, — sur le caractère superficiel, équivoque et imprécis de tous ces termes et de toutes ces formules ; n’exigeons pas qu’on nous explique exactement en