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casuistique ; elle n’a à formuler aucune déclaration de ce genre ; elle n’a jamais dit d’ailleurs qu’il y eût honte ou honneur à concevoir d’une manière ou d’une autre.

Reste l’enfant. — On ne saurait, pour celui-ci, arguer de son consentement libre ; il est bien incontestablement mineur, et la société ne lui a offert aucune espèce de garantie préventive. N’a-t-il pas dès lors un très juste droit à des revendications légales contre son père ? N’est-ce pas là, parmi « les vérités d’évidence », une de celles qui s’imposent avec la plus impérieuse netteté ?

La question de la recherche de la paternité apparaît, en effet, plus complexe que la question des filles séduites[1]. Notre ancienne législation avait admis le bâtard à prouver sa filiation. Si cette preuve est maintenant interdite par le Code civil, c’est que les réformateurs de la fin du siècle dernier ont exigé, avec énergie et au nom du progrès, qu’on abolît une disposition dont les réformateurs de la fin de notre siècle, s’imaginant faire œuvre nouvelle, exigent aujourd’hui le rétablissement, avec la même énergie et au nom du même progrès. Cette seule contradiction tendrait au moins à indiquer que la tâche du législateur n’est pas aussi aisée à remplir que le proclament l’auteur de l’Affaire Clemenceau et ses continuateurs. Il se peut que leurs projets ne soient pas à rejeter en bloc, et qu’on doive à la rigueur en accepter une partie, qui atténue la rudesse péremptoire de l’article 340. Il ne faudrait cependant procéder qu’avec une prudence infinie, et ne pas commencer par se placer sur un terrain détestable, en exagérant jusqu’à l’absurde le préjudice que subit l’enfant illégitime. Celui-ci est à plaindre ! Mais celui qui, né de parens misérables, se trouve probablement voué pour la vie à une condition inférieure et précaire, n’est-il pas également digne de compassion ? Et celui qui, issu de générateurs plus ou moins atteints de tares physiologiques, sent peser sur ses épaules le poids d’hérédités morbides souvent atroces, n’est-il pas une victime plus douloureuse encore de certaines fatalités inéluctables ? Le pauvre et le malade, eux non plus, n’ont pas demandé à naître ; ils sont faibles, eux aussi, ils sont innocens, ils n’ont jamais rien fait de mal. Va-t-on leur reconnaître le droit de se poser vis-à-vis de leurs

  1. A propos précisément de la lettre d’Alexandre Dumas fils à M. Gustave Rivet, relative à la Recherche de la paternité, toute cette question a été très complètement étudiée par M. F. Brunetière dans le numéro de la Revue des Deux Mondes du 15 septembre 1883.