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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/646

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l’homme, la femme n’agit pas, mais qu’elle s’agite », et que « c’est une cane qui pond sans que le canard s’en soit môle » ; après avoir dit et répété que « la femme ne peut être mise en fonction que par l’homme », et après avoir fait de « l’homme-femme » le type complet de la création divine, brusquement il rayait d’un trait de plume toute la partie de son œuvre où il a exposé largement cette thèse, et il réclamait, pour celle qu’il a qualifiée lui-même de « créature absurde », l’accession à tous les droits civils et politiques : « Quelle différence constatez-vous entre l’homme et la femme pour refuser à celle-ci le droit de voter ? — Son sexe ? Qu’est-ce qu’il a à faire là-dedans ? » De la part d’un physiologiste, cette interrogation était au moins inattendue ; et ce qui n’était pas moins surprenant, de la part du moraliste et du sociologue qu’il avait prétendu être, c’était la tranquillité d’âme avec laquelle il envisageait la décadence du mariage, et l’approche de l’heure


Où, se jetant de loin un regard irrité,
Les deux sexes mourraient chacun de son côté.


« Aujourd’hui, disait-il, la femme commence, et si quelqu’un l’approuve, c’est bien moi, à ne plus faire du mariage son seul but… Elle peut se passer de l’homme pour conquérir sa liberté… Et la liberté qui lui viendra par le travail sera bien autrement réelle et complète que la liberté purement nominale qui lui venait par le mariage. »

Évidemment, quand il publiait ces déclarations, étranges d’une façon générale, et tout simplement stupéfiantes sous son nom, celui à qui l’on doit la préface de l’Ami des femmes se laissait entraîner d’instinct vers un des aboutissemens nécessaires de sa philosophie individualiste. On inclinerait à penser néanmoins que cette subite ardeur pour les libertés féminines, si peu conforme à ses tendances antérieures de réglementation à outrance, provenait encore d’une autre cause, et qu’elle cachait aussi un vague sentiment de découragement, comme un aveu d’impuissance. Il commençait à discerner obscurément la vanité, la puérilité, l’incohérence, les périls mêmes du prétentieux et formidable appareil législatif qu’il avait voulu substituer aux prescriptions du Code ; il entrevoyait par intervalles l’impossibilité de certains idéals, la folie de certaines réformes, la barbarie