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droit imprescriptible pour celle-ci d’user de représailles en cas d’infidélité de celui-là, paraît, à première vue, dominer la comédie entière ; d’autre part, un des rares personnages doués de sens commun en cette pièce déconcertante, Mme Thérèse Smith, ne s’embarrasse pas longtemps de ce pauvre sophisme, et, d’un mot ; elle en dévoile l’insondable inanité. L’extravagance même de l’anecdote qui sert à la démonstration et à l’illustration de cette singulière théorie morale suffirait d’ailleurs, par son exagération seule, à rendre suspecte l’intention du moraliste. Il aurait voulu nous apprendre comment se fait une réfutation par l’absurde, il n’aurait certainement pas procédé différemment ; il aurait cherché à mettre en lumière les aberrations dont est susceptible une cervelle féminine fortement imprégnée des doctrines qu’il a défendues et prêchées toute sa vie, il ne pouvait trouver un exemple plus complet que celui de sa Francine de Riverolles, cette jeune personne de vingt-deux ans, d’une misanthropie un peu enfantine, qui ne voit dans le mariage que l’amour, qui déclare aimer son mari « comme un amant », qui veut en être aimée comme une maîtresse, qui est bien en effet la plus passionnée et la plus insupportable des maîtresses, et dont la plus grave faute semble être pourtant d’avoir trop lu la Princesse Georges et l’Étrangère ; il se serait appliqué enfin à tourner en bouffonnerie ses propres enseignemens et à ridiculiser sa propre philosophie, on ne voit pas ce qu’il aurait dû inventer de mieux que ce vieux marquis de Riverolles qui, au moment où on le met au courant des catastrophes survenues dans le ménage de son fils, juge l’occasion opportune pour improviser une conférence sur les devoirs de l’époux envers sa femme, et qui, après avoir corsé sa conférence d’une longue histoire galante de Brantôme, conclut en proposant au conseil de famille assemblé une partie de whist ou de piquet. Cet ensemble de conceptions hautement fantaisistes s’encadre entre une recette culinaire sur l’art d’accommoder la salade japonaise et un dénouement de pur vaudeville. Incontestablement, l’auteur se moque de nous, et il se moque de lui-même ; il a perdu ses anciennes croyances, et il en fait un objet de raillerie ; il ne brûle pas encore, mais il bafoue ce qu’il avait adoré, et cette affectation de gaieté ironique contient assez d’amertume à peine dissimulée pour nous laisser entrevoir combien violente fut la douleur de l’écrivain devant l’écroulement de toutes ses espérances. Un autre grand artiste contemporain, en qui du reste on a noté déjà non sans raison de