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entière. Et c’est probablement assez pour que, de sitôt, la postérité n’oublie pas son nom.

Il lui manqua malheureusement, à lui qui rêvait d’organiser et de conduire les foules humaines selon un idéal supérieur, il lui manqua la connaissance et la compréhension des organismes collectifs ; il ignora l’idée de l’Etat ; il ignora l’idée de la Famille ; il ne sut voir, et il ne vit autour de lui que l’impalpable poussière des individus ; et, au lieu d’essayer de fondre ces innombrables et stériles atomes en des corps homogènes, vivant de la vie de tous, il s’ingénia à les grouper artificiellement les uns à côté des autres, chacun conservant ainsi, il est vrai, sa personnalité propre, mais leur masse restant poussière.

Au moment où des polémiques ardentes étaient engagées sur la question du divorce, le grand adversaire de l’indissolubilité du mariage rencontra en face de lui, on le sait, le Père Didon ; et celui-ci, le 23 novembre 1879, prononça à Saint-Philippe-du-Roule une conférence, dont les passages les plus saillans ont été cités dans le livre consacré par Alexandre Dumas (ils à la défense et à la propagande de sa thèse : « Admettez-vous, disait l’orateur catholique, que des innocens se sacrifient quelquefois ? Est-ce que vous reconnaissez qu’un individu pourra s’oublier lui-même pour une cause générale ? Est-ce que la société ne repose pas tout entière sur ce principe absolu du sacrifice total de l’individu à une cause supérieure ? Il n’y aurait pas de société sans cela. » Et l’éloquent dominicain ajoutait : « Femme, tu as vingt ans, et ton mari t’a été infidèle ; il t’a trahie ; il t’a trompée ; il t’a réduite à l’infamie, qui ne t’atteint pas ; qu’est-ce que tu as à faire ?… Comprends la grandeur d’un principe qui porte tout, et meurs pour ce principe et pour le Dieu qui le représente… Si tu ne crois pas en Dieu, tu peux encore mourir pour ton pays… Tu n’as qu’à prendre le deuil de la tête aux pieds, et tu n’as qu’à mourir pour sauver les sociétés qui veulent vivre. Or, les sociétés qui veulent vivre, ce sont les sociétés qui savent s’immoler dans leur entier dévouement jusqu’à la mort. » Il y avait peut-être à tenir compte ici de certaines exagérations oratoires ; il y avait surtout à examiner si « le dévouement jusqu’à la mort » des malheureuses liées par le Code à un mari indigne importait aussi essentiellement au salut de la société, et si l’intérêt supérieur du mariage exigeait de telles immolations. La doctrine enseignée par le prédicateur n’en était pas moins d’une haute et puissante beauté morale ; or,