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délaissa cette embouchure pour se frayer un passage dans l’est, au point qu’occupe aujourd’hui Port-Saint-Louis. En 1594, le fleuve inconstant se rejette dans l’ouest : son embouchure s’établit à égale distance entre ses deux anciennes bouches. Enfin, en 1713, il revient vers l’est et se creuse le chenal navigable actuel. L’embouchure est aujourd’hui à 48 kilomètres d’Arles.

Ces pérégrinations historiques du Rhône contredisent l’opinion erronée qui veut que les tours de défense construites sur les bords du fleuve aient marqué les emplacemens successifs de son embouchure. On retrouve six de ces tours échelonnées sur le grand Rhône et une dizaine sur le petit Rhône ou sur le parcours des anciens bras atterris. La plus éloignée de la mer est à 4 kilomètres d’Arles. Si l’homme habitait ces régions à l’époque inconnue où l’embouchure du Rhône était sur ce point, il n’avait ni la pensée ni le moyen d’édifier de pareilles constructions. La vérité est que les tours du Rhône étaient destinées à signaler les pirates catalans ou sarrasins qui remontaient le cours du fleuve en quête de pillage et à donner asile aux cultivateurs du voisinage, jusqu’à ce que les signaux répétés de tour en tour eussent appelé du secours. Elles ont été construites au fur et à mesure de l’extension des cultures.

De tout temps, les embouchures du Rhône ont présenté de grandes difficultés pour la navigation. Au point où se heurtent le courant fluvial et les vagues de la mer, il se produit à la fois un relèvement des sables marins et un dépôt abondant des matières que l’eau du fleuve tient en suspension. Il se forme ainsi, en travers du fleuve, un écueil sablonneux qui en barre le cours (d’où son nom), écueil d’autant plus dangereux qu’il se modifie et se déplace sans cesse, selon la hauteur des eaux, le vent régnant, l’état de la mer, etc. Pour éviter ce passage toujours redoutable, souvent impraticable, Marius fit creuser les fosses Mariennes qui donnaient accès dans des étangs navigables communiquant avec le Rhône. Cette voie est depuis si longtemps et si bien atterrie, qu’on n’en reconnaît plus l’emplacement. Richelieu songea à établir un canal du Rhône à la mer, partant de Tarascon et aboutissant à Marseille, mais cette idée n’eut pas de suites. Napoléon conçut le projet du canal d’Arles à Bouc, exécuté vingt ans après la chute de l’Empire et aujourd’hui abandonné par la navigation, à cause de son insuffisance. En 1850, on tenta d’améliorer directement l’embouchure en endiguant le fleuve et en supprimant