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Pour en revenir à la comparaison de Carnot, un patron qui n’emploierait ses ouvriers qu’à la tâche, c’est-à-dire qui ne serait sensible en définitive qu’à la besogne faite et indifférent au temps qu’ils y ont employé, serait placé au même point de vue que les théoriciens de la mécanique. M. Bouasse, que nous suivons ici, a fait remarquer que cette notion du travail mécanique remontait à Descartes ; ses prédécesseurs et particulièrement Galilée avaient une idée toute différente de la manière dont il fallait estimer l’activité mécanique ; et de même ses successeurs, les mathématiciens du XVIIIe siècle. Leibniz et plus tard Jean Bernouilli, furent à peu près seuls à adopter cette manière de voir.

C’est précisément le travail ainsi entendu qui est l’énergie mécanique : il représente l’effet durable et objectif de l’activité mécanique indépendamment de toutes les circonstances d’exécution. Un même travail pourra s’effectuer dans des conditions de temps, de vitesse, de force, de déplacement bien différentes. Il est, par suite, l’élément permanent à travers la variété des aspects mécaniques. C’est lui, par exemple, qui dans le choc des corps se retrouve comme force vive indestructible. Si nous l’appelons énergie, nous dirons donc que l’énergie se conserve invariable à travers toutes les transformations mécaniques.

L’histoire de la mécanique nous apprend quelles peines et quels efforts ont été dépensés pour arriver à distinguer le travail (aujourd’hui l’énergie mécanique) de la force. La force n’a pas d’existence objective ; elle n’a ni durée, ni permanence ; elle ne survit pas à son effet, le mouvement. Lorsque, par exemple, l’on met en jeu la presse hydraulique, on recueille sous la plate-forme exactement le travail que l’on a développé de l’autre côté. La machine n’a fait qu’en changer la forme. Au contraire, on a multiplié la force à l’infini. On peut considérer un nombre infini de surfaces égales à celle du petit piston, placées et orientées comme l’on voudra, à l’intérieur du liquide, chacune, d’après le principe de Pascal, supportera une pression égale à celle que l’on exerce. Dès que l’on cesse d’appuyer, cet infini tombe du coup à zéro. Quelque chose de réel pourrait-il passer instantanément de l’infini au néant ? Le travail et la force sont en outre des grandeurs hétérogènes entre elles ; elles ne peuvent pas avoir la même expression. La force est une grandeur vectorielle, c’est-à-dire qu’elle comporte l’idée de direction ; le travail est une grandeur scalaire qui comporte l’opposition de sens indiquée par les signes plus et