chandelles. » Young en usait avec lui-même comme François Arouet avec son fils ; il s’adressait les reproches les plus contradictoires. Donnait-il aux pauvres, sa conscience l’accusait de voler ses créanciers ; ne donnait-il rien, il violait le plus sacré des commandemens ; était-il indifférent aux maux de son prochain, il prouvait la dureté de son cœur ; faisait-il quelque bonne œuvre, il ne la faisait pas pour le bon motif, et la charité sans la foi est un péché mortel. Cependant sa vue s’affaiblissait rapidement, il finit par devenir aveugle, et il supporta son malheur avec une courageuse résignation ; c’était encore un péché : Dieu avait voulu le punir de sa perversité, et les châtimens ne produisent tout leur effet que lorsqu’ils sont profondément ressentis. Personne en vérité ne fut plus savant dans l’art de se tourmenter, dans l’art de se calomnier.
Qu’était devenu le brillant causeur, d’humeur égale et charmante, qui alliait des chimères à un robuste bon sens, les romans aux expériences, les goûts légers aux curiosités sérieuses, l’homme qui, en 1789 brûlait de visiter les Charmettes et avait voulu tout voir, la maison, la vigne, le jardin ? « En dépit de ses faiblesses, il y avait dans Mme de Warens, écrivait-il ce jour-là, quelque chose de délicieusement aimable ; sa gaité constante, sa tendresse, son humanité, ses entreprises et, plus que tout, l’amour de Rousseau ont gravé son nom parmi le petit nombre de ceux dont la mémoire nous est chère, par des raisons plus aisées à sentir qu’à expliquer. » Il déclarait désormais que, sous peine de perdre son âme, un chrétien doit s’abstenir soigneusement de souper chez un unitaire et cesser tout commerce avec les sociniens et les croyans à la conscience large : « Lundi, j’ai déjeuné, dîné, couché chez lord Bristol. Lady Bristol et sa sœur ont chanté des airs italiens jusqu’à minuit. Il y a quelques années, c’eût été pour moi une dangereuse tentation ; dorénavant ce n’est plus qu’une perte de temps, mais de telles vanités ont un fâcheux effet sur le cœur. » Et il écrivait aussi : « Apprends à te haïr, tu ne te haïras jamais assez. » La religion est, selon les cas, le plus bienfaisant des remèdes ou la pire des maladies, et le méthodisme intolérant et superstitieux d’un Whitefield est l’un des poisons les plus actifs que la théologie ait inventés.