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avec un domestique et deux beaux chevaux, auxquels il attachait beaucoup de prix. Pour rendre cœur à Young, il lui raconta qu’il était devenu chrétien à l’âge de vingt-cinq ans, trois jours après son installation à Cambridge, et que depuis lors, il n’avait pas douté un seul instant de son salut. Il ne réussit pas à lui communiquer son imperturbable confiance. Young écrivait dans son journal : « Siméon est remarquablement gai et il a beaucoup d’esprit… Il doit avoir de grands revenus. » Les deux beaux chevaux l’avaient rendu rêveur.

Il s’accusait de tiédeur et d’inconstance ; il croyait, mais il se plaignait de ne pas croire assez, et il se gorgeait de sermons, de brochures édifiantes, de traités d’apologétique. Il s’était prescrit la tâche de composer un ouvrage de controverse contre les déistes, il renonça à son projet ; il eût été obligé d’étudier de près leurs argumens pour les réfuter, et il craignait que leurs sophismes, leurs mauvaises raisons ne fissent trop d’impression sur lui. Il s’appliquait à se détacher du monde, et malgré lui le monde lui plaisait encore. Il posait en fait que, sur vingt des amis qu’il fréquentait, il y avait dix-neuf incrédules, et il constatait avec douleur qu’il trouvait encore quelque agrément dans la société des payens, qu’il n’en trouvait aucun dans celle des chrétiens et n’en retirait aucun profit. Il se flattait d’en avoir fini avec l’amour, « ce tyran des cœurs, source de nos plus grandes misères » ; mais il confessait en rougissant qu’il lui venait parfois de mauvaises pensées : « Notre imagination est le siège du péché, c’est par-là que le diable nous tient… Cette nuit encore, je me suis levé à trois heures pour me soustraire aux poursuites de certaines images sensuelles. J’ose croire que le Seigneur écoutera mes prières, qu’il me délivrera des assauts de Satan, de cette épine enfoncée dans mes chairs, qui me cause de mortelles inquiétudes. »

Son imagination ne lui avait pas servi à s’enrichir, mais elle avait embelli sa vie ; elle ne lui servait plus qu’à le tracasser ; elle transmuait ses meilleures actions en péchés. « Je me souviens, lui avait écrit Walter Harte, d’une anecdote que m’a contée Voltaire au sujet de son père. Ce vieillard acariâtre dit un jour à son fils, qui avait fait la grasse matinée : « Jeune homme, vous avez passé la nuit à boire ; sachez qu’à trop dormir, vous perdrez l’usage de vos facultés, vous négligerez vos études, et vous mourrez sur la paille. » Piqué de ce reproche, Voltaire se leva le lendemain à quatre heures, ce qui était d’autant plus méritoire qu’on était au fort de l’hiver. « Mon fils, lui dit son père, vous nous ruinerez en frais de chauffage et d’éclairage ; toutes vos muses crottées ne nous indemniseront jamais de notre dépense chez le marchand de bois et de