nous explique cela en jouant sur les mots avec une inadvertance charmante, et appuie ainsi les divagations de Namouna d’un acquiescement bien inattendu :
- L’amour qu’on doit à Dieu, tu l’offrais à la femme…
- Tu tendais tes deux mains vers sa forme charnelle,
- Mais c’était l’infini que tu cherchais en elle,
- Et l’infini, c’est Dieu.
- C’est Dieu que tu cherchais dans la femme, ô poète !
- Tu l’aimais, as-tu dit ? Regarde de plus près :
- Tu n’aimais pas la femme, hélas ! tu l’adorais,
- Comme on adore Dieu, car elle était symbole…
Je demeure stupide quand je lis ces choses-là. Ou, pour m’exprimer plus posément, je garde les doutes les plus sérieux sur cette psychologie et je crois que j’ai raison, si la débauche est, essentiellement, la recherche de la sensation égoïste, et si l’amour de Dieu est peut-être bien tout le contraire.
Ajoutez, dans les démarches de don Juan et dans la « fable » même, une certaine obscurité, et qui ne se dissipe que par une lecture attentive. — Mais que de beaux vers, subtils, forts, brillans ! et même que de belles scènes : la scène d’amour du premier acte, la scène avec la courtisane Inès au second, et tout le quatrième acte ! et quel noble effort et qui n’a échoué (à demi) que parce que le poète, trop chargé de souvenirs, n’a voulu en sacrifier aucun et s’est entêté à concevoir, un don Juan qui fût tous les don Juans à la fois.
JULES LEMAITRE.