Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/782

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cléricale : par le privilège d’un génie grâce auquel les abstractions devenaient claires, la science simple, et les faits vivans, il révéla à l’intellect laïque l’importance de ces problèmes religieux. Il s’attacha à établir, par toutes les preuves de doctrine et d’histoire, que le chef et le maître du catholicisme était le souverain pontife ; que sa primauté était la croyance la plus ancienne, la plus constante, la plus universelle de l’Eglise ; que les docteurs opposés à cette suprématie étaient les moindres par le poids et le nombre ; que les conciles où elle aurait été contestée, ou n’avaient pas émis en réalité cette opinion, ou l’avaient émise sans compétence ; qu’en fait, cette souveraineté s’était toujours justifiée par ses services, avait assuré plusieurs fois le salut du catholicisme ; qu’en droit, elle devait être où se trouvent les informations les plus complètes, l’indépendance la plus assurée, la sollicitude des intérêts les plus généraux. Avec la même abondance et la même variété de raisons, il jugea la tentative gallicane, montra la contradiction entre l’isolement orgueilleux de cette doctrine et la vocation unitaire du catholicisme, établit que l’Eglise de France, en dépensant ses énergies contre le Saint-Siège, avait travaillé contre elle-même, le bien général, l’avenir de la chrétienté, et conclut que la France, dotée d’une influence sans égale sur la pensée humaine, se devait de rendre au vrai une réparation éclatante, au Christ son soldat fidèle, au monde un ordre où elle trouverait la première place et une incomparable grandeur.

Ces idées — qui se détachaient avec une vigueur et un relie ! extraordinaires sur le fond un peu plat de la science et de la piété communes — procédaient d’un savoir si vaste, si calme, d’une raison si observatrice des faits, si sage même en ses sublimités, que les audaces s’élevaient comme naturellement sur la solidité des bases ; et que les visions même de son intelligence parfois ravie en extase, au lieu de se perdre dans le mirage des rêves, semblaient un élan suprême vers les sommets inaccessibles mais certains de la vérité. Car toutes les facultés de ce grand penseur tenaient toujours conseil ensemble, et en lui, le prophète ne parlait jamais avant qu’eussent parlé l’historien, le docteur et l’homme d’Etat.

Lamennais suivit, non comme un disciple, mais comme un autre maître. Lui, moins versé dans la familiarité des faits et, quoique prêtre, dans la doctrine ecclésiastique, demandait à la raison pure l’essentiel de sa pensée et de ses enseignemens. Il