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était sans égal pour créer, par une fécondité solitaire, des synthèses abstraites, en poursuivre toutes les conséquences avec une rigueur inflexible, et prolonger, aussi loin que porte la logique, leur structure alignée et leur superbe ordonnance. Parvenu par cette autre puissance aux mêmes certitudes que de Maistre, il partait de ces certitudes pour atteindre à des conclusions nouvelles. Puisque le monde a besoin du christianisme, et que le christianisme ne peut durer sans la primauté souveraine des Papes, tous les obstacles élevés contre le libre gouvernement de la Papauté sur l’Eglise doivent disparaître. Or, les plus redoutables ne viennent pas d’une indiscipline fomentée dans la hiérarchie religieuse ; et si l’épiscopat des nations catholiques est sans droit pour partager ou limiter l’autorité pontificale, bien moins encore ce magistère saurait-il être partagé ou limité par les gouvernemens politiques de ces nations. De même que la première usurpation s’appuie à tort sur le droit divin de l’épiscopat, la seconde s’appuie, et combien plus à tort ! sur le droit divin des princes. La prétention que les rois tiennent directement de Dieu un pouvoir inamovible et, pour la défense de ce pouvoir, ont droit d’interprétation, de dispense, de coaction contre l’Église, est un sophisme. L’admettre, c’est admettre que la vie des gouvernemens humains leur a été donnée pour eux-mêmes, quoi qu’ils fassent, et que Dieu préfère cette durée au maintien de ses propres lois. Tout autre est la nature chrétienne de l’autorité. Un seul pouvoir est d’architecture divine, c’est l’Eglise : il est perpétuel parce qu’il est infaillible et gardien de vérités immuables. Les autres pouvoirs, établis par des hommes qui passent, et pour gouverner des affaires humaines qui sont changeantes ; tirent toute leur légitimité de leur intelligence à servir l’intérêt public. Et le premier des intérêts publics étant la fidélité à la loi divine, les chefs d’Etat en face de cette loi ne sont que des sujets : ils n’ont, comme chrétiens, le droit de soustraire ni eux-mêmes ni leur peuple aux enseignemens de l’Eglise, moins encore le droit de la diriger. S’ils tentent l’un ou l’autre excès de pouvoir, comme leur autorité devient funeste, elle devient illégitime, et comme en atteignant l’Eglise dans sa liberté, ils blessent le plus essentiel des intérêts, ils méritent de perdre le pouvoir. Le livre De la religion considérée dans ses rapports avec l’ordre politique et civil, que Lamennais publia on 1826, traçait, comme une géométrie dans l’espace, la future grandeur d’une Eglise échappée au joug des