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utiles pour eux, et comme après 1789, l’audace d’une minorité joua la badauderie humaine.

Au moment où s’était formé le parti libéral, ses revendications légales voilaient à peine de leur complaisance transparente, l’œuvre véritable, l’entreprise de violence contre tous les gouvernemens. Le retour de Napoléon, les trônes d’Europe ébranlés dès son premier pas en France, les Bourbons renversés par l’ombre de son bras, avaient fourni de prodigieux témoignages contre la solidité des vieilles dynasties. Ne s’avisant pas que toute la chance de l’aventure était le nom de l’incomparable aventurier, les révolutionnaires crurent qu’eux aussi, par d’autres coups de surprise, pouvaient en un instant réussir. Dans cette Europe qui passait de la guerre perpétuelle à la paix générale, une force était partout et brusquement sacrifiée, l’armée. A l’appel de chaque patrie, une race de soldats s’était fait une vocation de son devoir brutal et héroïque ; elle avait conquis à l’épée cette primauté éclatante qui naît et meurt avec les grands périls ; elle avait contemplé sa gloire dans les honneurs publics, l’enthousiasme des foules, les regards des femmes, jusque dans les premiers jeux qui sont l’opinion des enfans : et ces soldats se trouvaient en masse exclus de leurs emplois et de leur prestige. Ceux surtout qui, Français ou alliés de la France, avaient eu Napoléon pour chef, cherchaient au-dessus de leurs rangs éclaircis, les trois couleurs de la victoire, et les aigles qui, apprivoisées par elle, s’étaient enfuies, ne reconnaissant pas nos revers. Ils se sentaient amoindris dans les minuscules armées des roitelets qui, de la Hollande à la Sicile, s’étaient partagé l’espace où se recrutait naguère la grande armée. Ou congédiés par la paix avare comme des ouvriers inutiles, ils promenaient autour de leur carrière perdue leur fière détresse et leur oisiveté menaçante. Les griefs de ces hommes sans peur étaient le plus grand péril des gouvernemens et la meilleure force des révolutionnaires. Une impatience égale d’employer cette force unit les « grognards » et les républicains. Sans qu’ils s’expliquassent sur leurs idées, leurs haines s’entendirent. Pendant huit ans, ce fut en France, en Allemagne, dans tous les États de l’Italie, en Espagne, un crépitement continu de complots. Or, qui les préparait ? Les chefs mêmes du parti libéral. C’est entre deux coups de main qu’ils venaient réclamer des garanties légales. Dans toute l’Europe ils jouaient le même rôle, gouvernaient la politique par les