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réserve envers les personnes et la même superstition pour les textes. Les magistrats avaient statué en politiques ; les pairs faisaient les jurisconsultes ; et le renvoi fut voté, avec ce sens, par cent treize voix contre soixante-treize. Mais le regard de la foule grossit et simplifie tout ; elle comprit seulement que deux grands pouvoirs, les plus conservateurs de l’Etat, étaient d’accord contre les jésuites, et ceux-ci lui parurent plus redoutables encore.

Le cabinet, soutenu par la Chambre des députés, ne prit aucune mesure ; mais M. de Villèle sentit que les conflits religieux avaient troublé, divisé, usé ses réserves de force : il voulut demander à la nation même la volonté que les partis préjugeaient en se disputant. Le 5 novembre 1827, la Chambre fut dissoute. Les élections changèrent la majorité. M. de Montlosier, catholique et homme d’ancien régime, avait semé des défiances qui devinrent funestes à tous les candidats soupçonnés de partialité pour l’ancien régime et l’Église. Leur place fut prise par les libéraux dont le libéralisme consistait à refuser la liberté aux jésuites. En 1824, le vote avait condamné la gauche parce qu’elle paraissait la révolution : en 1827, il condamna la droite parce qu’elle paraissait la contre-révolution.

M. Portalis, devenu garde des sceaux dans le cabinet Martignac, trouva sur son bureau de ministre la pétition qu’il avait, comme rapporteur, fait renvoyer au gouvernement. Il confia à une commission le soin de statuer sur le droit des jésuites à vivre et à enseigner. Elle était, selon l’usage, composée à souhait pour paraître impartiale, donner l’avis que préférait le ministère et épargner au gouvernement la responsabilité de la décision. Elle comptait trois pairs, trois députés, deux évêques et un membre de l’Université. Les deux évêques, Mgrs de Quelen et Feutrier, et deux des députés, MM. de Nouilles et de la Bourdonnaye, étaient favorables aux jésuites ; le troisième député, M. Dupin, les attaquait à la barre et à la tribune, et les trois pairs avaient, M. Mounier voté, M. Laine parlé, M. Seguier, comme président à la Cour, jugé contre eux. La majorité devait être faite par M. de Courville, membre du conseil de l’Université : le suffrage de ce dernier semblait d’avance dicté par les doctrines et les intérêts du monopole universitaire. Ici encore, et plus que jamais, le résultat trompa l’attente. Dans son Rapport au Roi, du 28 mai 1828, la commission concluait que : « Sous le régime de la Charte, de la liberté civile et religieuse qu’elle proclame », des Français ne