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gênait fort, cédait l’armée coloniale à son collègue, sans se faire prier. Le ministre de la Guerre, au contraire, effrayé de ce surcroît de responsabilité et trouvant sa tâche déjà suffisamment compliquée, déclinait-il l’honneur de commander cette deuxième armée, le ministre de la Marine se résignait et la gardait en soupirant. En réalité, l’armée coloniale n’est pas plus à sa place, rattachée aux bureaux de la Marine qu’à ceux de la Guerre. La première, absorbée par les soins que réclame la flotte, n’a pris de tout temps qu’un faible intérêt aux troupes qui relèvent d’elle ; elle en prend moins encore depuis que l’administration des colonies ne la regarde plus et considère l’état de choses actuel comme un provisoire appelé à prendre fin le jour où interviendra une solution définitive. Toutefois, l’autonomie de l’armée coloniale ne court que peu de dangers, tant qu’elle appartiendra à la Marine ; aussi estimons-nous que, s’il fallait absolument la donner à un de ces deux départemens, les inconvéniens seraient moindres avec le ministère de la rue Royale qu’avec celui de la rue Saint-Dominique. La confier à ce dernier département serait la pire des solutions.

Il faut être doué d’une forte dose de naïveté pour supposer qu’une direction nouvelle pourrait être créée dans les bureaux de la Guerre et conserver son indépendance absolue vis-à-vis des autres rouages du-ministère ; que la direction de l’infanterie et de l’artillerie n’arriveraient pas à connaître du personnel de cette nouvelle armée ; que l’état-major général, ayant à préparer la mobilisation du corps d’armée supplémentaire créé en cas de guerre, ne serait pas amené à régler les mouvemens de troupes aux colonies, au risque de créer des conflits avec le ministère dans les attributions duquel rentrent ces opérations. Des échanges constans de personnel s’effectueraient entre l’armée de terre et l’armée coloniale, dont on ouvrirait les rangs aux privilégiés que l’on voudrait mettre à même de mériter un avancement exceptionnel, à ceux également auxquels pour des raisons plus ou moins avouées on voudrait infliger un exil temporaire. Loin d’être autonome, l’armée coloniale ne serait plus qu’une annexe de l’armée de terre. Et qu’une expédition lointaine fût imminente, les sollicitations pour obtenir un commandement surgiraient de toute part, et le ministre débordé, hors d’état de résister à des prières émanant de camarades dont il connaît la valeur et les qualités militaires, leur conférerait des emplois qui devaient revenir à d’autres, c’est-à-dire aux officiers généraux de l’armée coloniale.