Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/816

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est, en effet, à ceux que leur carrière entière a préparés à la guerre coloniale qu’il appartient de la faire.

Ces expéditions elles-mêmes, c’est le Ministère de la Guerre qui aurait à les préparer. L’expérience faite dernièrement à propos de Madagascar a-t-elle donc été si heureuse que l’on ne craigne pas de la renouveler ? La Marine, au moins, a des traditions qui lui rendent cette préparation plus facile, qui lui permettent de l’accomplir dans de meilleures conditions ; la Guerre les acquerra, cela est possible : mais elle aura toujours à lutter contre ses propres traditions qui ne peuvent que la gêner, si grande est la différence entre les guerres de cette nature et les guerres continentales.

Enfin, il est une raison d’ordre supérieur qui s’oppose au rattachement de l’armée coloniale à la Guerre. Le ministre de la Guerre a une tâche déjà bien lourde ; il est dangereux de la rendre plus lourde encore, alors surtout que ce surcroît de charges et de préoccupations ne vise pas directement la défense du territoire et la protection de nos frontières. Nous ne saurions mieux faire que de laisser parler le général Billot, le ministre actuel de la Guerre, qui s’exprimait comme il suit devant le Sénat, dans la séance du 4 novembre 1892, alors que la question de ce rattachement était en discussion : « Vous imposez au ministre de la Guerre, disait-il, une charge immense, au-dessus des forces et des facultés d’un seul homme. Napoléon lui-même n’y a pas suffi… Il faut que l’homme qui tient l’épée de la France, ne cesse pas d’avoir les yeux dans les yeux de ceux qui tiennent des épées qui pourraient se diriger contre nous. Il ne faut pas, pendant qu’on regarde au nord ou à l’est, qu’on ait à regarder aussi le Tonkin, la Cochinchine, le Cambodge, Madagascar, le Soudan, le Dahomey, le Sénégal, les Antilles, et qu’on puisse être distrait par des pensées secondaires. Il n’y a pas de puissance humaine, d’intelligence et de cœur capables de suffire à une tâche aussi colossale. » Dans la séance précédente, un autre orateur avait rappelé très à propos que, lorsque la France avait perdu le Canada et les Indes, le ministre de la Guerre était chargé à la fois de la défense continentale et de la défense des colonies : « On ne court pas aux granges, avait-il dit, quand la maison brûle. »

Rien n’est plus vrai ; il en serait de même aujourd’hui. Au jour du danger, le ministre des Colonies irait frapper en vain aux portes du ministère de la Guerre pour obtenir les forces dont