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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/852

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ils rentrèrent à Paris, attendant le bon plaisir de Sa Majesté. Le 14 juillet, — date fatidique, — ils offrirent un grand souper à tous leurs compatriotes habitant la capitale : la fête fut animée, comme bien on pense, et les têtes s’échauffèrent ; la réunion se termina vers minuit, et MM. les députés bretons rentrèrent chez eux pour y trouver chacun un exempt de la police, porteur d’une lettre de cachet, les invitant, au nom du roi, à venir achever la nuit au château de Bastille. Ils y entrèrent à trois heures du matin, individuellement conduits par un officier major de la garde de Paris et un inspecteur de police.

Nous possédons sur le séjour du marquis de la Rouerie dans la fameuse prison d’État des documens assez curieux concernant le régime imposé aux détenus. Dès le premier jour, le baron de Breteuil mande au major de la Bastille que « l’intention du roi est que MM. de Montluc, de la Rouerie, de Châtillon, etc., soient servis chacun par un de leurs domestiques ». Trois jours plus tard c’est l’autorisation de laisser entrer à la forteresse deux cent quarante bouteilles de vin de Bordeaux que les États de Bretagne envoient à MM. les gentilshommes prisonniers. Leur correspondance leur est remise fort régulièrement, et on autorise le gouverneur à « leur donner plumes, encre, papier, couteaux, ciseaux, montres, promenades : en un mot, à faire pour eux tout ce qui est possible. » L’un des détenus, M. de la Fruglaye, obtient l’autorisation de recevoir son fils « auquel il est permis de dîner avec son père, et de venir, s’il le juge bon, s’enfermer avec lui. » Le 21 août, on loue un billard qu’on place dans la chambre du major « pour l’amusement de MM. les gentilshommes bretons ». Si, comme on l’a dit, la Bastille était le résumé des rigueurs de l’ancien régime, on reconnaîtra qu’elles étaient acceptables : la Révolution qui détruisit l’antique geôle se hâta d’en élever vingt autres beaucoup plus rudes et dont les gardiens se préoccupaient peu de « l’amusement des détenus. »

Armand de la Rouerie n’eut pas longtemps à gémir dans cette peu farouche prison. Le 25 août, Brienne remettait au roi son portefeuille ; les parlementaires triomphaient. On dit que le soir de ce même jour, à l’heure où la nouvelle de la retraite du ministre circulait dans Paris, mettant le peuple en liesse, on vit, sur les tours de la Bastille, une lueur s’élever, aussitôt saluée par les cris de joie et les clameurs d’enthousiasme : c’était la Rouerie et ses compagnons de captivité qui illuminaient la vieille