Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/853

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

forteresse. Ces nobles, on peut le dire, aimaient à jouer avec le feu : ils saluaient l’éveil d’une révolution qui devait être, pour eux tous, une suite ininterrompue de catastrophes, de deuils, et de ruines.

Le retour du marquis en Bretagne ressembla à un triomphe : la ville de Fougères s’illumina pour le recevoir. Malheureusement l’allégresse publique fut cause d’un accident regrettable qui termina brusquement la fête : une fusée incendia un groupe de quatre maisons formant l’angle de la Grand’Rue et de la rue de l’Horloge. Ce malheureux événement, que bien des gens accueillirent comme un sinistre présage, ne nuisit en rien cependant à la popularité toujours croissante du châtelain de la Rouerie. Sa conduite pendant la lutte des Parlemens et du pouvoir, le souvenir de ses hauts faits d’Amérique, celui même de sa retraite à la Trappe, de ses duels, de ses amours devenus légendaires, contribuaient à mettre en évidence sa personnalité plus sympathique, il faut le dire, aux paysans et au petit peuple qu’à ses pairs de la noblesse. Ses opinions, semblables en cela à celles de bien d’autres gentilshommes, ne paraissent pas, avoir été d’une logique parfaite : il était à la fois royaliste et révolutionnaire ; il tenait pour l’ancien régime en réclamant la vieille constitution bretonne, et contre la cour en désapprouvant les tendances hostiles à l’esprit philosophique des parlemens. Nous croyons qu’il était, surtout, dévoré d’un besoin d’activité et qu’il recherchait toutes les occasions de luttes et de conflits.

Tel était si bien son état d’esprit que, de retour à son château, il entreprit, pour s’occuper, de transformer l’antique manoir de ses ancêtres en une demeure plus élégante : il commença par « tout culbuter », la ferme, l’étable, le château lui-même, lit des levées de terre, planta des avenues aboutissant à de vastes carrefours, bâtit de somptueuses écuries, peintes à fresques et garnies de râteliers en chêne sculpté : de l’ancien manoir il ne conserva que la chapelle, isolée à l’entrée de la cour et, sur de nouveaux plans, lit élever la vaste habitation, de style un peu froid, qui subsiste encore aujourd’hui : c’est une construction régulière, composée d’un rez-de-chaussée et d’un étage et que surmontent, sculptées dans un fronton triangulaire, les armes des Tuffin de la Rouerie. Dans le parc, enclos de murs, le marquis avait planté quatre tulipiers, rapportés d’Amérique et que le temps a respectés : une double rangée de tilleuls, encadrant un