produirait qu’une impression mesquine, amortie d’ailleurs par la grandeur des événemens, ce en quoi, sans doute, il raisonnait juste. Comme ceux qu’il prêchait étaient tout aussi Bretons que lui, et ne lui cédaient point en ténacité, on dédaigna ses conseils et « il lui fallut retourner à la Rouerie planter ses choux. »
Mais les plantations ne l’amusaient plus. Dans son château inachevé, il s’enferma, rongeant son frein, réduit à assister, de loin, en spectateur, aux débuts de la Révolution, n’ayant pour confident de sa rage patriotique et de ses désappointemens électoraux que le fidèle Chafner « qu’il idolâtrait et qu’il ne quittait jamais », — car il était l’homme des sentimens excessifs. Ce Chafner ne passait pas, cependant, pour un compagnon bien divertissant : « d’une famille obscure et pauvre, racontait plus tard Mme de Langan qui l’avait souvent rencontré, il était, à la vérité, bel homme : j’entendais dire qu’il avait beaucoup d’esprit, mais il fallait le deviner, car il parlait très mal le français et j’ai toujours pensé que, pour conserver sa réputation d’homme aimable, il faisait bien de ne pas l’apprendre, car on interprétait toujours à son avantage ce qu’on n’entendait pas, et c’était là ce qui lui valait tant de succès. »
Le marquis vivait, au reste, en mésintelligence avec sa mère, qui, n’ayant pu supporter les écarts de son caractère fantasque, s’était réfugiée à Fougères ; il avait, en revanche, recueilli dans son château sa cousine Thérèse de Moëlien, fille d’un conseiller au parlement de Bretagne. Thérèse, privée de fortune, avait renoncé au mariage. On prétendait qu’elle était la maîtresse de la Rouerie, et, pour la laver de cette accusation, les chroniqueurs ont assuré que Mlle de Moëlien était sans beauté. C’est une erreur : les témoins oculaires s’accordent, au contraire, à vanter les charmes de son visage et l’élégance de sa démarche. — « Je vis, dit Chateaubriand, cette comtesse de Trojoliff qui, cousine et intime amie du marquis de la Rouerie, fut mêlée à sa conspiration. Je n’avais encore vu la beauté qu’au milieu de ma famille : je restai confondu en l’apercevant sur le visage d’une femme étrangère. » Il ne faut donc pas la montrer laide dans l’intérêt de sa vertu, qui n’y gagnerait rien. Qu’elle ait eu, ou non, le marquis pour amant, la chose importe si peu à notre récit que nous ne nous y arrêterons pas : il suffit de dire que Thérèse mit contre elle toutes les apparences, passant la plus grande partie de l’année au château de la Rouerie, que n’habitait aucune autre femme, sortant à