Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/862

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Coblentz en attendant des ordres et, tout étant ainsi disposé, la Rouerie reprit, avec sa cousine, son fidèle Saint-Pierre et ses domestiques, le chemin de la Bretagne. Le voyage, cette fois, s’effectua par terre. Le marquis et Saint-Pierre s’étaient déguisés en marchands ; Thérèse de Moëlien, vêtue d’un costume d’amazone, portait, cousu dans sa ceinture, le pouvoir signé du Comte d’Artois. Ils traversèrent à cheval les provinces rhénanes et la Lorraine ; apprirent en route la fuite et l’arrestation du roi à Varennes ; et ils arrivèrent à Paris le jour même où la famille royale rentrait prisonnière aux Tuileries.

Armand de la Rouerie séjourna à Paris pendant quelques jours et ne manqua pas d’aller voir son ami Chévetel.

Depuis que le jeune médecin de Bazouges avait quitté la Bretagne, il s’était considérablement parisianisé. Nommé, comme nous l’avons dit, grâce au crédit du marquis, médecin consultant des bâtimens de Monsieur, frère du Roi, il s’était lié, en cette qualité, avec un certain docteur Marat, qui fit, depuis, quelque bruit dans le monde et qui était, à la même époque, médecin consultant des gardes du corps de Mgr le Comte d’Artois. Chévetel habitait, rue des Fossés-Saint-Germain-des-Prés, une maison toute voisine de l’ancien Théâtre-Français, et connue sous le nom d’Hôtel de la Fautrière. Il avait pour voisin d’en face un avocat au conseil du Roi, très populaire dans le quartier et qui s’appelait Danton ; un peu plus avant vers la nouvelle Comédie, était un jeune journaliste nommé Camille Desmoulins ; un comédien-poète, Fabre d’Églantine, n’était pas loin de là ; le boucher Legendre avait son étal presque à l’angle du carrefour ; et, tout à côté, demeurait un imprimeur, ardent patriote, qui devait être plus tard le maréchal Brune.

Soit que la réunion de tant de têtes chaudes communiquât la fièvre à tout le quartier, soit que le souvenir du parterre turbulent qui, avant la construction du nouveau théâtre, tenait ses assises au café Procope, y entretînt une atmosphère de révolte, ce petit coin du district des Cordeliers devint en quelque sorte, dès les premiers jours de la Révolution, la forteresse des idées nouvelles. Chévetel avait pris là le germe de la contagion révolutionnaire : c’était un homme adroit, sentant le vent et que les convictions ne gênaient pas ; il suivit le mouvement.

Peut-être ignorait-il les relations qui avaient existé entre la Rouerie et Mlle Fleury, l’actrice du Théâtre-Français dont nous