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Les considérations qui précèdent, nous permettent d’apprécier dans ses traits principaux la méthode employée en océanographie. L’application de l’expérimentation et de la mesure directe y semble, au premier abord, particulièrement difficile sinon impossible. Il n’en est rien. Si l’on s’en tenait à l’océan, il est certain que les phénomènes y sont plus que compliqués ; ils sont terribles ; et leur grandeur, à s’en rapporter aux apparences, les met bien au-delà de la puissance humaine. On serait donc hors d’état d’en aborder directement l’étude. Cependant, même les mystères de la mer sont forcés de se soumettre à l’expérimentation, à la condition de procéder graduellement et de passer par l’intermédiaire des lacs, océans en miniature, gouvernés par des lois analogues quoique moins compliquées et par conséquent plus faciles à découvrir et à vérifier. En océanographie, l’étude d’un phénomène devra passer par trois phases : on le constate sur l’océan, on le reconnaît, amoindri, sur les lacs, on l’étudie par synthèse dans le laboratoire, ce qui laisse trouver sa loi. Alors, prenant l’ordre inverse, ou cherche si la loi se vérifie sur les lacs et, en dernier lieu seulement, on revient à l’océan. On observe si la loi s’y vérifie et, en cas de modifications — ce qui existe le plus souvent — on en recherche les causes, on considère quels événemens nouveaux sont intervenus qui étaient absens ou fortement atténués sur les lacs et dans le laboratoire. L’étude est maintenant complète et définitive puisque, s’il avait été nécessaire, on serait retourné dans le laboratoire où, riche des suggestions qu’aurait fait naître l’aspect du terrain, fort d’une première approximation, on serait parvenu à une précision plus grande, grâce à une nouvelle synthèse établie sur de nouvelles expériences. On procède du connu à l’inconnu et du simple au compliqué en revenant sur ses pas, s’il y a lieu.

On fait à la méthode expérimentale l’objection que les phénomènes en petit, tels que nous sommes capables de les produire dans le laboratoire, ne sont point la représentation identique, bien qu’à une échelle réduite, des phénomènes naturels. Le raisonnement s’appuie sur un malentendu ; tout prouve l’opinion contraire. Pourquoi un corps pesant, abandonné à lui-même, descendrait-il dans la mer autrement que dans un tube de quelques mètres de hauteur rempli d’eau salée ? Si des modifications sont apportées par la durée de la chute, la profondeur, la compression des couches d’eau et les autres circonstances, ces changemens