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l’intelligence et du cœur, il les lui a données. Même il a essayé d’en faire un personnage quasi tragique « de prêtre sans croyance, nourrissant du pain de l’illusion la croyance des autres ». Mais une femme a passé dans sa vie ; et ce que n’avaient pu ni Lourdes et « la glorification de l’absurde », ni « Rome moribonde », ni même la « banqueroute de la charité », Marie Couturier l’a fait, avec ses « hanches larges, sa poitrine large, sa gorge petite et ferme de guerrière. » Plaignons du fond du cœur ce pauvre abbé Froment !

Non que M. Zola ne se soit efforcé de le relever à nos yeux en le mêlant à une foule de discussions sur le positivisme, sur l’évolutionnisme, sur le collectivisme, sur l’anarchisme, dont le pauvre homme essaie, péniblement et infructueusement, de dégager le « bilan des idées du siècle » et « le chemin parcouru ». Mais l’abbé n’est pas de force ; il y perd pied ; il n’y voit bientôt plus que « les contradictions, les incohérences chaotiques de l’humanité en marche ». S’il inclinait vers quelque solution, ce serait « à nier tout, à ne plus rien attendre que la catastrophe finale, inévitable, la révolte, le massacre, l’incendie, qui doivent balayer un monde coupable et condamné ». Et on ne sait à quelles extrémités il en viendrait finalement si, d’une paît, son bon naturel ne le préservait de la tentation de l’action violente ; et puis, sur les débris de tous les systèmes et de toutes les religions, si l’illustre chimiste Bertheroy ne rétablissait fort à propos le dogme de la souveraineté de la science : « Ah ! mon cher enfant, si vous voulez bouleverser le monde en essayant d’y mettre un peu plus de bonheur, vous n’avez qu’à rester dans votre laboratoire ; — c’est à Guillaume Froment qu’il s’adresse, mais l’abbé prend sa part du conseil, — car le bonheur humain ne peut naître que d’un fourneau de savant. » Ce ne sont plus ici ni le chimiste Bertheroy qui parle, ni l’abbé Froment qui pense, c’est M. Zola lui-même ; et, à cette confiance illimitée dans le pouvoir de la science, si nous ajoutons ce qu’il appelle « la banqueroute de la charité », et sa haine irréconciliable pour une « bourgeoisie défaillante et corrompue », nous aurons, je crois, toute la politique, toute la sociologie, et toute la philosophie de M. Zola.

Oserons-nous lui dire qu’elles ne sont pas bien originales ? qu’il semble qu’elles aient vingt-cinq ou trente ans d’âge ? et nous étonnerons-nous d’entendre cet officier de la Légion d’honneur, ce candidat à l’Académie, ce propriétaire, invectiver cette bourgeoisie « qui, dans le