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accru ? et comme le fait encore justement observer Tolstoï, si c’est la science qui a « encombré le monde de fabriques, véritables foyers de misère et de mort » ; si c’est elle qui « perfectionne tous les jours les instrumens de meurtre », — et de ceci, l’auteur de Paris n’en disconviendra pas, puisque ses chimistes n’emploient leurs veilles qu’à fabriquer des explosifs ; — si c’est la science enfin qui a « développé le luxe, multiplié les besoins, rendu la vie des hommes infiniment plus dure », n’est-elle pas responsable en quelque mesure de cette « oppression » et de cette « misère » qui épouvantent M. Zola ? C’est précisément ce qu’ont voulu dire ceux qui ont parlé de la « banqueroute de la science », et à qui M. Zola, comme l’illustre chimiste Bertheroy, n’a opposé que des argumens qui traînaient il y a vingt-cinq ans dans les laboratoires. Ils ont voulu dire qu’impuissante à tirer la justice « du fourneau d’un savant », la science était incapable de fournir à l’homme une règle de vie. Ils ont voulu dire que tel n’était pas son objet, et qu’après l’avoir vainement poursuivi depuis un quart de siècle, il était enfin temps qu’elle se renfermât dans ses justes bornes. Et ils ont voulu dire qu’à l’ivresse dont elle avait transporté ses disciples, le moment était venu pour la science de faire succéder une conscience plus lucide et plus modeste de ses moyens, de ses ressources, et de son pouvoir. Je suis bien aise, faut-il l’avouer ? que l’apocalypse de M. Zola soit de nature à ouvrir les yeux de ceux qui ne voulaient point voir ; qui soutenaient que jamais la science n’avait affecté les prétentions qu’on lui prêtait ; et qui fermaient la discussion en invoquant les progrès de la chimie des couleurs ou de la sérothérapie. Le besoin de croire est tellement inhérent à l’homme que, dès que la science croit avoir triomphé de la religion, il se fonde une « religion de la science » ; et, on l’a vu tout à l’heure, le Paris de M. Zola en est à la fois la preuve et l’aveu.

Si maintenant, après en avoir comme retiré ce qu’il contient de déclamations philosophiques, nous examinons ce qui reste de Paris, il en reste un roman « parisien », qui n’est peut-être pas le meilleur, — beaucoup de gens continueront de préférer l’Assommoir, — mais qui n’est pas non plus le pire des romans de M. Zola. Même, ce qui est si rare dans les romans de M. Zola, — le plus « documentaire », mais le moins « documenté » des hommes, et le plus appliqué, mais le moins véridique des observateurs, — il y a dans Paris des coins d’observation