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fidèle, et les ouvriers de M. Zola ressemblent à des ouvriers parisiens Sans doute ils sont tous misérables, et il a pris plaisir à les loger dans de « vieilles bâtisses branlantes », qui suintent le vice et la détresse : « Les bâtimens croulaient à demi, des vestibules béans s’ouvraient comme des trous de caves, des taies de papier bariolaient les vitres crasseuses, des loques pendaient infâmes. » Il ne nous a montré nulle part le véritable ouvrier, je veux dire celui qui travaille ; ni la véritable ouvrière, qui est celle dont l’activité, la patience, l’économie font de ses enfants des « bourgeois », et des bourgeois en général assez durs au pauvre monde. Mais si les paysans de la Terre, les militaires de la Débâcle, et même les bourgeois de Pot-Bouille n’étaient ni des bourgeois, ni des militaires, ni des paysans français ; — et comment, par quel miracle de divination, M. Zola, qui ne les a fréquentés les uns ni les autres, pourrait-il les connaître ? — il connaissait un peu les ouvriers ; et, quand il ne les aurait pas étudiés de très près, il y a un sens des milieux parisiens qui s’acquiert, et depuis quarante ans l’auteur de Paris a eu le temps de l’acquérir. C’est ce qui met Paris, à notre avis, fort au-dessus de Rome, et même fort au-dessus de Lourdes.

Nous ajouterons avec plaisir, que, contrairement à son habitude, M. Zola n’a point abusé dans Paris des occasions ou des facilités d’inconvenance que son sujet lui offrait. Si les situations déplaisantes, et même les gros mots n’y manquent pas, il y en a cependant moins qu’ailleurs, et, n’étaient quelques touches assez lourdement appliquées, on pourrait presque dire que M. Zola n’a pas mal analysé les progrès de l’amour dans le cœur de son Pierre Froment. La jeune fille qui a opéré ce miracle est d’ailleurs insupportable, avec ses allures garçonnières, ses culottes de bicycliste, son instruction supérieure, ses talons de lessiveuse, et son cœur « qui monte à ses joues pour qu’on le voie ». Cela veut dire qu’elle rougit souvent : et on le conçoit dans la situation où M. Zola l’a placée, entre ces cinq Froment dont elle n’est ni la fille, ni la sœur, ni la parente à aucun degré ! Entend-elle bien ce qu’elle dit quand elle conseille à l’abbé de « rentrer dans la vérité en rentrant dans la bonne nature ? » J’aime à croire que non. Et elle est assez ridicule, dans sa fonction symbolique, laquelle est, toutes les fois qu’il s’ouvre une fenêtre dans le roman, de nous montrer « le soleil ensemençant Paris, et d’un geste souverain jetant le blé de santé et de lumière aux plus lointains faubourgs ». Mais enfin, tout est relatif ! Rare en son espèce parmi les héroïnes de M. Zola, Marie Couturier, telle quelle, est une honnête fille ; et, si M. Zola n’a pas pu réussir à la rendre « séduisante », ’il ne faut pas lui en vouloir, mais plutôt l’en féliciter,