Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/943

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sont-elles bonnes pour toi’ ? demanda Osberne, s’amusant à lui retourner la question qu’elle lui avait faite. — Parfois oui, répondit-elle, en riant aussi, et parfois non : mais cela tient peut-être à ce que je ne suis pas toujours bonne pour elles, comme toi pour tes gens. » Il ne répondit rien, et il y eut entre eux un moment de silence. Puis il dit : « A quoi penses-tu, fille ? — — A ceci, dit-elle. Je pense au bonheur que c’est que je t’aie vu, car tu m’as donné tant de joie ! — Nous pouvons nous revoir de la même façon, si tu veux ! « Oh ! oui », reprit-elle ; et de nouveau elle se tut.


Mais Osberne n’avait pas fini de la questionner. Il lui demanda ce qu’elle faisait dans la grotte d’où il l’avait vue sortir : elle y venait souvent se cacher, pour échapper aux vexations de ses tantes, et aussi parce que, sans y avoir jamais rencontré personne, elle avait l’impression d’y avoir des amis. Un jour, par exemple, elle y avait trouvé une petite flûte rustique, qui lui avait été d’un précieux service.


— Car devine un peu ce que je fais en ce moment, sur cette colline ! — Tu te divertis à bavarder avec un ami, répondit Osberne en riant. — Pas du tout, dit-elle : je garde mon troupeau. — Et elle tira la flûte de sous sa robe, et se mit à jouer, et une mélodie en jaillit d’une douceur ravissante, si gaie que le petit garçon lui-même ne put s’empêcher de balancer ses jambes en cadence. Et dès l’instant d’après, il entendit des bêlemens ; et des moutons accoururent autour de la petite bergère. Alors elle se leva et marcha vers eux, et, les ayant en cercle autour d’elle, elle dansa, soulevant ses jambes nues, tandis que ses cheveux d’or dansaient sur ses épaules ; et les moutons, aussi, sautaient et dansaient comme si elle le leur avait ordonné. Jamais le petit garçon n’avait vu un plus joli jeu.


Une autre fois, l’enfant avait reçu de ses amis invisibles un collier d’or et de pierreries : pour le montrer à Osberne, elle dégrafa le haut de sa robe, et sous la grosse laine bleue il aperçut une gorge d’une blancheur de neige, où le collier brillait comme un cercle d’étoiles. — Et, dis-moi, lui demanda-t-il, que sais-tu faire ? — Elle savait filer et tisser, et cuire le pain et battre le beurre, et moudre le grain sur la meule, encore que ce fût une dure tâche. Mais rien ne lui plaisait comme de garder ses moutons. Lui, à son tour, se vanta de ce qu’il savait faire. Il savait tuer des loups, car c’était un petit héros ; il savait tirer à l’arc ; mais il savait aussi chanter des poèmes qu’il improvisait. — Comme ce serait doux, dit-elle, si tu voulais chanter un poème pour moi ! — Il se leva et chanta ainsi :

— Maintenant l’herbe pousse librement, — et le lys fleurit dans le pré ; — et la verdure d’avril — se répand de toutes parts ; — et loin derrière nous — s’en est allé l’hiver ; — et le lord des vents — a perdu de ses forces. — Et toi, plus belle que la fleur du tilleul, — tu sors du sombre caveau comme le printemps de l’hiver.