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mobilier, dans l’imprimerie, dans la reliure, de nouveaux procédés et des formes nouvelles. La seule différence est que ses confrères en socialisme se sont toujours méfiés de lui, tandis que tout le monde a pris au sérieux ses fantaisies industrielles, puisque c’est de lui que procède, en droite ligne, ce fameux « style anglais », qui a tant contribué depuis quelques années à embrouiller nos goûts en matière de décoration, et à nous faire perdre le dernier reste des simples et fortes traditions anciennes. Ces meubles d’une élégance contournée et bizarre, ces tentures aux harmonies de tons imprévues, ces livres avec des titres imprimés dans les coins des pages, tout cet art, à la fois préraphaélite et moderne, et qui a si vite fait de nous séduire, et plus vite encore de nous fatiguer, jamais il n’a été pour Morris qu’un simple passe-temps, à peu près comme la carte du Sundering Flood. Le seul malheur est qu’on ne l’ait pas compris, et que, dans ce passe-temps d’un poète, on ait cru découvrir une révolution artistique.

Un grand enfant doublé d’un poète de génie : tel ne manquera pas d’apparaître, pour peu qu’on l’étudié de près, ce soi-disant révolutionnaire. Et aussi bien est-ce, dès maintenant, son œuvre poétique qui lui survit le plus. On se lasse de ses meubles et de ses papiers peints, on oublie le rôle politique qu’il a joué : mais tous les jours on admire davantage son Paradis Terrestre, le chef-d’œuvre de la poésie préraphaélite anglaise, et ces romans qui sont encore de vastes poèmes, les Racines des Montagnes, la Maison des Wolfings, les Nouvelles de Nulle Part. L’enfant s’y retrouve sans cesse, à côté du poète : il gambade, il rit, il s’arrête à cueillir toutes les fleurs du chemin ; et jamais il ne chante que pour s’amuser. Mais comme son chant est naïf et sonore ! Comme il plaît à entendre, et quel souvenir charmant il laisse après lui !

Parmi ces divertissemens poétiques, The Sundering Flood va désormais prendre place. Avec sa carte amoureusement historiée, ses longs récits de batailles, sa naïve idylle et son socialisme, c’est à coup sûr une des œuvres les plus typiques de Williams Morris ; et rien n’y manquerait pour nous émouvoir, si nous n’avions aujourd’hui l’habitude d’exiger d’un roman une portée plus haute, ou tout au moins des allures plus graves et plus prétentieuses.


T. DE WYZEWA.