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mais le modèle parfait du démocrate-socialiste. Il a la haine des rois, et l’un des points principaux de son programme d’action est d’aider, dans les villes, les « guildes des métiers inférieurs » à secouer le joug de la bourgeoisie. Ce programme plaît fort au vaillant Osberne, qui pousse même l’égalitarisme plus loin encore que sir Godrick, puisqu’il ne veut accepter ni titres, ni dignités, ni même rien qui ressemble à un grade. Mais avant d’offrir son concours au baron justicier, il lui fait subir une sorte d’examen ou d’interrogatoire, dont les résultats, du reste, le satisfont de tout point. Il demande, par exemple, à sir Godrick comment il est entré en possession de ses biens, et est ravi d’apprendre que ces biens se réduisent à fort peu de chose. Puis, la question du capitalisme ainsi réglée, il demande si les « guildes des métiers inférieurs » peuvent compter, quoi qu’il arrive, sur la protection du baron.


A cela encore ayant répondu, sir Godrick se rassit, et posa sa main sur son front, et sourit un peu, et dit : — Hé bien ! jeune homme, as-tu encore, par hasard, une question à me poser ? Car pour un gaillard qui veut se mettre à mes gages, il me semble que l’humeur questionneuse ne te manque pas ! — Et Osberne dit : — Seigneur, ne vous fâchez pas ; mais il y a en effet encore une question que je voudrais vous poser. Et quant à mes gages, laissons cela ; car de vous poser de telles questions, et d’y entendre faire de telles réponses, cela est plus précieux pour moi que tous les gages au monde. Mais voici ma dernière question : Cette Forêt Sans Maître, où vous m’avez dit que vous demeurez, n’est-elle pas aussi un refuge de maraudeurs et de brigands ? Et quelle est votre conduite à l’endroit de ces gens-là ?

Et sir Godrick, sans sortir de son calme, répondit : — Mon garçon, tu ne te trompes pas en supposant qu’il y a dans cette forêt des hommes qui vivent en dérobant à autrui : mais sache qu’ils ne font que très peu de mal aux laboureurs et autres pauvres gens. Et en vérité la plupart de ceux qu’ils dépouillent méritent bien d’être dépouillés, ayant acquis leur bien des pauvres gens, par fraude et mensonge, de telle sorte que c’est eux qui devraient être appelés des voleurs, au moins autant que ceux qui les volent. Mais cela ne nous empêche pas de surveiller ces derniers, et de les empêcher de voler à leur aise. Quand nous, les prenons, nous leur offrons le choix entre le bagne ou quelque dur service sous nos capitaines. Et s’il nous est prouvé que l’un d’eux a été cruel et impitoyable, force nous est bien de le pendre à un arbre.


Voilà comment William Morris entendait le socialisme. Il l’appréciait, surtout, comme un moyen de se divertir de la banalité et de la laideur de son temps ; et, de même encore, c’est surtout par manière de divertissement qu’il a tenté d’introduire dans les arts décoratifs, dans l’ornementation extérieure et intérieure des maisons, dans le