Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nombre de ses adversaires ? — Questions embarrassantes, auxquelles Chévetel ne savait que répondre, étant, depuis plusieurs mois, sans nouvelles des progrès de la conjuration. Il voulut juger par lui-même des chances de la Rouerie, et, au commencement d’août, il partit pour la Bretagne.

Il n’avait pas dépassé Laval que déjà il connaissait par la rumeur publique « la découverte des projets du marquis, le siège et la prise de son château, sa fuite et l’obligation où il était de se cacher ». S’arrêta-t-il à Bazouges ? C’est probable, puisqu’il parle de ses voyages entre Dol et Dinan : il n’aurait pu, décemment, passer si près de son village, sans aller voir son père. Toujours est-il qu’au cours de ses pérégrinations dans cette contrée où il était né, où il avait vécu longtemps et où il connaissait tout le monde, il fut vite mis au courant des détails de la conjuration. A l’en croire, il ne questionna personne ; servi par ce même hasard qui l’avait déjà fait, malgré lui, le dépositaire des secrets de la Rouerie, il aurait reçu bien des confidences sans jamais en solliciter aucune. La chose, pour être improbable, n’est cependant pas impossible : venu pour se renseigner, il devait fréquenter, de préférence, chez les principaux affiliés, qui, le sachant, de longue date, l’ami du marquis, n’avaient aucun motif de lui cacher leurs projets et leurs espérances. Il s’introduisit ainsi chez Mme de Saint-Gilles, qui ne se gêna pas « pour blâmer hautement en sa présence la tentative du marquis et se plaindre des inconsidérations de Mlle de Moëlien qui courait les campagnes en habit d’amazone avec des épaulettes et un panache à son chapeau : elle termina en disant que la Rouerie n’était pas venu chez elle, et qu’il se cachait sous le nom de Milet ».

Muni de ces renseignemens, Chévetel se présenta chez Desilles au château de la Fosse-Ingant. Ce qu’il savait de la situation financière de l’association lui permit de simuler une connaissance approfondie des ressources dont elle disposait. Desilles ne pouvait témoigner de la méfiance à l’ami qui s’était, à deux reprises, obligeamment entremis pour le change des billets envoyés de Coblentz. A quoi bon dissimuler, d’ailleurs, avec un homme qui paraissait si bien informé ? Quand le docteur manifesta le désir de rendre visite au marquis, Desilles n’y mit aucun obstacle, et s’offrit à préparer discrètement cette entrevue.

Depuis quelques jours, la Rouerie était informé du séjour de Chévetel en Bretagne : nous avons dit déjà les sentimens