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semaines ou quelques mois de lutte, le suicide entre aussi à la suite de la misère. Le 23 juillet dernier, une femme, âgée de trente-six ans, mère de trois enfans, s’est tiré une balle dans la tête ; la police a fait une enquête, les enfans entendus ont dit : « Maman nous avait annoncé plusieurs fois l’intention de se tuer, parce qu’elle n’avait plus d’argent. » La pauvre mère avait laissé la lettre suivante : « La vie m’est trop dure. J’ai lutté jusqu’au bout. Je bénis la personne qui prendra soin de mes enfans. » — « J’ai lutté autant que j’ai pu, écrivait une autre mère, je n’ai pu aller plus loin. Mes enfans, pensez souvent à votre pauvre mère, je vous aime bien. Mais vous savez pourquoi il faut que je meure. Oh ! que je souffre. Je meurs parce que j’ai peur de la misère. » — « On va dire, écrit une autre, que je n’ai ni cœur, ni courage pour abandonner mes enfans en me donnant la mort. Ah ! si l’on savait combien il m’en coûte de les quitter, mais la misère m’y force. Adieu, mes enfans. » Une femme qui avait recueilli les enfans de sa sœur, après avoir travaillé nuit et jour pendant plusieurs années pour les nourrir, se voit acculée à des dettes qu’elle ne peut éteindre ; après avoir tout vendu, elle s’asphyxie en écrivant à ses neveux : « Je vous laisse quinze sous de pain. »

Lorsque le père et la mère viennent à mourir, les enfans sont quelquefois recueillis par les grands-parens qui survivent. Mais ceux-ci, âgés, le plus souvent infirmes, ne peuvent plus travailler ; quelques-uns se suicident de désespoir en voyant qu’ils ne peuvent plus gagner leur vie et celle de leurs petits-enfans. On trouve difficilement du travail quand on a les cheveux blancs. Les patrons préfèrent les ouvriers jeunes, vigoureux. Beaucoup d’ouvriers, après avoir travaillé toute leur vie, après avoir subi sans défaillance toutes les tentations, tombent dans la misère et se suicident pour y échapper. « C’est dur, après une vie de travail, de n’avoir pas de quoi manger après être resté trente-trois ans dans le même arrondissement », disait l’un d’eux, avant de se tuer. — Un autre écrivait : « N’ayant plus de quoi vivre, je meurs. J’aime mieux la mort que la misère. Mon casier judiciaire est intact. » — « Voilà comment on aide la vieillesse », s’écriait un troisième en se donnant la mort. — « La vie est trop lourde à supporter, écrivait à son fils un ouvrier âgé. Je m’en vais sans regrets. Je te quitte pour l’inconnu, mais il ne peut être pire que mon état. Vive la République sociale, qui ne laissera pas mourir de faim ses enfans. » — Un autre annonçait son intention de se