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dans les asiles où les enfans veulent les placer.- Ils éprouvent de la répugnance pour Nanterre, qui est tout à la fois un asile, une prison et un dépôt de mendicité. Lorsqu’ils sont recueillis par leur fils marié, souvent leur belle-fille les force à sortir par ses mauvais traitemens : « C’est demain que mon fils doit me mettre à la porte, écrit un ancien ouvrier horloger, je ne veux pas attendre ce dernier affront. » — Un autre père écrit avant de se suicider : « Je ne veux plus manger le pain de mes enfants et être traité d’inutile. »

La cause la plus fréquente des suicides par misère à Paris est l’impossibilité de payer le loyer. Il est plus facile à un ouvrier de gagner jour par jour sa nourriture et celle de sa famille que d’économiser l’argent nécessaire pour le paiement d’un loyer, qui représente toujours une somme relativement élevée[1]. Le loyer à Paris devant être payé par trimestre, on voit, à chaque terme, une recrudescence de suicides par misère. Ayant reçu congé parce qu’ils devaient un ou plusieurs termes, un assez grand nombre d’ouvriers, de petits employés, d’ouvrières, aiment mieux mourir sur leur lit, dans leur chambre, que d’être jetés dans la rue sans savoir où aller. Ils ne peuvent se résigner à la nécessité de quitter le petit logement où ils ont vécu, de voir saisir le petit mobilier qui leur est si cher, d’aller errer dans la rue. « Je ne sortirai pas, on m’emportera », écrit une pauvre femme avant de s’asphyxier. — « Je m’en irai les pieds devant », dit une autre pauvre femme, qui ne mangeait pas à sa faim et se soutenait avec un peu de café, lorsque le propriétaire, à qui elle devait plusieurs termes, lui signifia son congé. — « J’aime mieux mourir sur mon lit que dans la rue », s’écrie une autre désespérée. Un ouvrier, âgé de quarante-deux ans, se pend après avoir tracé les lignes suivantes « Je dois de l’argent à M. P… (son propriétaire) ; ce n’est pas pour boisson, c’est pour le terme. Je payais 25 francs par mois, la chambre que j’occupe, obscure et sans air. » Un employé de commerce, âgé de cinquante-six ans, se jette à la Seine, on le retire de l’eau, on le ranime. Dès qu’il a repris connaissance, il s’écrie : « Je veux mourir, laissez-moi mourir ! » sans s’expliquer davantage, mais l’enquête révèle qu’il devait quatre termes de

  1. La charité privée, toujours ingénieuse à Paris, a inspiré la création de quelques caisses de loyer qui encaissent pour l’ouvrier chaque semaine la petite somme qu’il peut économiser pour son loyer, et qui la doublent au moment du terme. Mais ce secours est très souvent insuffisant.