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facilitera celui de Dorothée ; M. Müller lui-même s’y emploiera. Sans compter bien des petites douceurs pour papa et maman… Oui, oui, je suis plutôt contente. »

Mais il est sans doute dans la destinée et dans le caractère de Lia d’être dupe. Lorsque M. Millier vient « chercher la réponse », c’est Dorothée qui le reçoit. Sous prétexte de tendresse innocente et de jalousie de petite fille, la jeune effrontée se frotte, en pleurant, contre le bonhomme ; elle laisse échapper ce cri : « Je ne veux pas que vous épousiez Lia, parce que j’en mourrais ! » et s’abat, en une demi-syncope, sur le gilet de son respectable ami… Et quand elle est calmée, Müller s’esquive en murmurant : « Ma foi, je reviendrai un autre jour. »

Le lendemain, le voisin Dursay donne une garden party, où sont tous les Pétermann et quelques autres invités. Pendant que la compagnie se promène sur le lac, Lia est restée à garder les enfans. La bande revenue, elle sent que ses sœurs et ses beaux-frères, et Mikils et Norah réconciliés, tout le monde « s’aime » autour d’elle. Et Müller n’a toujours pas parlé. Il a commencé à souffrir. Et voilà qu’elle apprend de son père et de sa mère que M. le syndic s’était trompé sur ses sentimens, le pauvre homme ! et qu’il les a priés de considérer comme non avenue sa démarche de la veille. Lia souffre tout de bon : « Ce que je ne lui pardonne pas, c’est cet effort que j’ai naïvement fait pour l’aimer ; je souffre cruellement, moi qui lui échappais par mon indifférence, de m’être mise, par bonté d’âme, dans le cas de pouvoir être rejetée et méprisée par lui. Ce n’est pas dans mon cœur que je suis blessée, mais dans ma fierté la plus légitime, et très profondément, je l’avoue… »

Mais que devient-elle, lorsqu’elle apprend que ce n’est pas tout, que Müller a demandé la main de Dorothée, et que M. et Mme Pétermann ont consenti à une substitution si naturelle ! Cette fois, c’est trop vraiment ; Lia se révolte contre son destin d’éternelle déçue et d’éternelle sacrifiée ; et au pasteur Pétermann qui lui dit : « Tu sais où est la consolation, tu te tourneras vers Dieu, tu prieras », elle répond : « Non, mon père. »

À ce moment critique, se présente un lieutenant de hussards, neveu de Dursay, et qui n’a d’autre caractère que d’être lieutenant de hussards, car c’est tout ce qu’il fallait ici. Le bel officier propose à Lia un tour de valse. Lia, énervée, et comme ivre de chagrin, se montre d’autant plus imprudemment provocante et coquette que c’est la première fois et qu’elle y apporte quelque gaucherie. Il y a des mots qu’elle veut entendre, ne les ayant jamais entendus : et le lieutenant les lui dit sans se faire prier. Et elle s’excite, raille le monde où elle a été élevée, ne