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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/243

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essayer de l’appliquer ». On peut encore se demander s’il appartient à une Chambre, ou même à deux, qui n’ont pas été nommées tout exprès pour cela, de modifier une Constitution ? et on peut discuter si la suppression du Sénat par la Chambre, — puisque enfin c’est à peu près tout ce que demandent les révisionnistes, — ne serait pas une sorte de « coup d’État » ou de « révolution » ? Voulons-nous en courir l’aventure pour l’unique satisfaction de venger l’amour-propre de M. Léon Bourgeois ? On essaie bien d’élever la question : « C’est la majorité réactionnaire de l’Assemblée nationale qui a rédigé la Constitution de 1875, nous dit-on. Elle a très résolument voulu créer sous le nom de République une institution toute semblable à une monarchie constitutionnelle, et rendu aussi indirect, aussi difficile que possible, l’exercice de la souveraineté des citoyens. » Mais, en vérité, la bonne plaisanterie ! Quelle souveraineté, que celle qui consiste à déposer tous les quatre ans un bulletin dans une boîte ! un bulletin blanc, quelquefois ! et qu’aurait-elle de plus effectif si, tous les neuf ans, je crois, nous en déposions un autre dans une autre boîte ? Mais les plus naïfs eux-mêmes des électeurs commencent à s’en apercevoir, qu’ainsi conçu, « l’exercice de leur souveraineté » n’est qu’une pure mystification ; et si l’on veut vraiment réviser ou réformer, il n’y suffit pas de « définir plus exactement le rôle des deux Chambres » ; ou de « rétablir entre le Sénat et le suffrage universel un bien plus direct » ; ou de « prévoir les conflits entre les deux Chambres et d’en assurer le règlement dans le sens des volontés de la nation souveraine ». C’est le suffrage universel qu’il faut organiser, et voilà ce qu’on devrait tenter[1].

De toutes les questions politiques proprement dites, il n’y en a pas de plus urgente ni dont nos législateurs semblent pourtant se moins soucier. Partout ailleurs on s’en est occupé. La Suisse a le referendum et la Belgique le vote plural. On a essayé en tel endroit d’organiser « la représentation des minorités », et ailleurs « la représentation des intérêts professionnels ». Nous, en France, tout ce que nous avons fait, dans les grandes occasions et pour de purs intérêts de parti, ç’a été de passer tour à tour du scrutin d’arrondissement au scrutin de liste et du scrutin de liste au scrutin d’arrondissement. C’est trop peu ! ou plutôt ce n’est rien ! Nous osons dire que la Chambre qui se donnerait enfin pour tâche d’organiser le nombre, et, — sans toucher à l’universalité du droit de suffrage, mais, au contraire

  1. Voyez sur cette question de l’Organisation du suffrage universel, dans la Revue des 1er juillet, 15 août, 15 octobre, 15 décembre 1895, et des 1er avril, 1er juin, 1er août et 1er décembre 1896, les articles de M. Charles Benoist.