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vigoureusement les tentatives de rébellion. Or ne pas sévir, c’était encourager l’insubordination.

Aussi, voyant le désordre et le mépris des règlemens venir de haut, voyant des officiers obtenir des grades sans les avoir mérités, dans beaucoup de régimens, les sous-officiers se soulevèrent, chassèrent leurs officiers, et firent contre eux au ministre des dénonciations auxquelles, malheureusement, on ajouta souvent foi, sans les examiner suffisamment.

Le désordre régnait donc un peu partout. Au 47e, toutefois, les choses se passèrent avec plus de calme, parce que l’ensemble des cadres était resté en place, et qu’on n’y plaisantait pas sur la discipline. Cependant il fallut tout l’ascendant des anciens officiers de l’Empire pour maintenir l’ordre : ils durent même user quelquefois d’argumens frappans pour y parvenir.

Une habitude voulait qu’à l’appel, les hommes apportassent un objet d’équipement, que le capitaine visitait afin de voir s’il était en bon état.

Le jour où l’on devait présenter les chaussures, les soldats se donnent le mot, et descendent des chambres sans rien apporter. Le capitaine Moussoux, une sorte d’Hercule qui s’était distingué dans les guerres d’Espagne, était justement de semaine. Voyant cela, Moussoux crie simplement aux hommes : « Par le flanc droit, marche ! Dans les chambres, et descendez les souliers. » Personne ne bouge… Le capitaine s’avance sur la première file, — on était alors sur trois rangs de profondeur, — : « Première file, s’écrie-t-il, par le flanc droit. » Personne ne bouge. Alors, de trois coups de poing, il fait rouler à terre les trois hommes. « Deuxième file, par le flanc droit. » Même immobilité. Trois nouveaux coups de poing envoient rouler à terre les trois hommes de la seconde file. Jugeant la leçon suffisante, il commande alors : « Division ! par le flanc droit ! » et cette fois tout le monde va chercher les souliers. La revue se passe, et depuis ce jour, personne ne songe plus à désobéir.

Les officiers en demi-solde envoyés pour remplacer les démissionnaires s’appelaient les « rentrans à la bouillotte. » Parmi eux se trouvait notre nouveau chef, le colonel Ruelle : il se présenta à nous avec ses épaulettes de Waterloo, dont la forme écrasée, toute surannée, étonnait les regards. On eût pris ce gros homme pour un revenant s’il n’eût eu sa face réjouie et son ventre obèse. C’était un brave soldat, mais borné et ignorant.