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administratif de la Nouvelle-France, ami puissant de l’Hôtel-Dieu. C’était un homme d’esprit ; il eut un commerce épistolaire assez fréquent, où les petits vers jouaient leur rôle, avec la mère de la Nativité, une fine Bretonne qui tournait à merveille le sonnet et l’épigramme. Cet échange d’à-propos rimes charmait la société québecquoise.

On voit, sans que je le souligne, quelles personnalités originales que n’étouffa jamais, comme on est disposé à le croire ailleurs, le joug pourtant très rigoureux de la règle, se trouvèrent réunies à différentes époques dans cette maison de la charité : grandes dames venues de France comme Catherine de Longpré, filles de fonctionnaires coloniaux ou d’officiers supérieurs comme la mère Duplessis de Sainte-Hélène et la mère des Méloises de la Vierge ; Canadiennes de la haute bourgeoisie comme la mère Juchereau de Saint-Ignace et tant d’autres. Ajoutez-y des figures d’exception comme les sœurs Gibson, filles d’Anglais protestans, recueillies dès le berceau, élevées dans le temple pour ainsi dire, sous l’aile des religieuses, et n’ayant pas connu d’autre famille ; ou antérieurement, la mère Davis de Sainte-Cécile, enlevée toute petite à son foyer de la Nouvelle-Angleterre, après des scènes de meurtre, par nos sauvages alliés, les Abénaquis, et passant, de la hutte où elle avait grandi, au couvent où elle arriva chaussée de mocassins, enveloppée de la couverture. Outre cela des filles d’habitans, sorties en masse de ces innombrables paroisses où s’est perpétué le sang le plus honnête de France.

Il y eut aussi un certain mélange de laïques, dignes de rivaliser avec les religieuses ; telles Mme d’Ailleboust qui édifia par ses vertus, peut-être un peu suspectes de quiétisme, Montréal et Québec. On dit qu’elle avait vécu dans l’état de virginité auprès de son mari, gouverneur de la colonie ; quoi qu’il en fût, une fois veuve, elle refusa successivement le gouverneur de Courcelles et l’intendant Talon qui recherchaient sa main, disposa de ses grands biens en faveur de l’Hôtel-Dieu et alla y finir ses jours. Cette excellente dame avait fondé sous les auspices de Mgr de Laval la Congrégation de la Sainte-Famille qui subsiste encore à Québec et compte dans ses rangs la meilleure partie de la ville. Ainsi, l’élément séculier et l’élément religieux se sont toujours trouvés ici en communication fréquente, les religieuses s’intéressant à la vie publique et le monde s’inspirant des exemples qui lui venaient des couvens.