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septentrionale de la longue île de Cuba, est-ce bien là le théâtre principal d’opérations ? Pour les Américains, peut-être, s’ils veulent en effet délivrer les Cubains du « Joug inhumain » de l’Espagne et à qui, au surplus, il ne serait pas aisé de porter la guerre sur le littoral espagnol[1], ni bien fructueux assurément.

Mais sur ce théâtre principal, nous l’avons vu, la marine américaine reste en l’air, pour employer une expression militaire bien significative, parce qu’elle n’y dispose pas de point d’appui solide, ni de port de refuge bien muni, ni de l’outillage nécessaire pour les grosses réparations. Le premier bassin qu’elle puisse utiliser se trouve à 700 milles (1 250 k.) de la Havane, à Port-Royal, sur une côte battue par des vents violens. On ne voit guère une unité de combat gravement atteinte dans ses œuvres vives entreprendre un si long trajet pour fermer sa blessure. Aussi l’escadre de l’Union, dans ces parages, est-elle obligée, soit qu’elle attaque les ouvrages de la Havane, où il y a quelques grosses pièces, soit qu’elle rencontre la division espagnole partie des îles du Cap-Vert, non seulement de vaincre toujours, mais de vaincre à peu de frais, ce qui n’est point aisé. Notons que la côte cubaine est difficile, semée de bancs et de coraux, et que déjà un croiseur américain s’y est échoué.

L’Atlantique et le littoral Est des États-Unis, est-ce là un théâtre secondaire d’opérations ? — On le voudrait bien à Washington, à New-York, à Boston. On voudrait surtout le persuader à l’adversaire et à cette mystérieuse escadre des îles du Cap-Vert, qui inspire d’assez légitimes inquiétudes. Mais qu’en pensent les Espagnols ?… S’aviseront-ils que, d’après les meilleurs maîtres dans l’art de la guerre, le bon moyen de se défendre, c’est d’attaquer, et que la question cubaine pourrait recevoir sa solution entre le cap Cod et le cap Hatteras ? — ce qui n’empêche pas de se bien défendre à Cuba, et l’on peut compter à cet égard, sinon tout à fait sur les forces navales qu’y rencontrent aujourd’hui les Américains, du moins sur l’armée espagnole, sur les difficultés d’un grand débarquement mal préparé, sur le climat, sur une certaine répugnance des insurgés eux-mêmes, dit-on, à recevoir l’étranger, l’Anglo-Saxon, le Yankee.

  1. A moins de s’emparer des Canaries pour en faire une base d’opérations, et d’aucuns y songent. Mais ce ne serait pas sans doute pour la première phase de la guerre.