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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/421

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prévenances dont l’inconnu était l’objet, qu’il était un personnage d’importance, mais n’en savaient pas davantage.

Le 18 janvier, Saint-Pierre se leva guéri ; mais ce fut le marquis qui dut différer son départ, se sentant lui-même fatigué. Le surlendemain, il s’alita : il était en proie à une fièvre ardente qui s’augmenta la nuit suivante. M. de la Guyomarais, fort inquiet, envoya chercher à Lamballe le docteur Taburet, qui, depuis vingt ans, était le médecin de la maison ; mais, pour ne pas éveiller les soupçons et pour justifier la visite de Taburet, il s’appliqua à répandre le bruit que sa fille Agathe souffrait d’un violent mal de gorge et d’une inflammation de poitrine. Le docteur trouva très grave l’état du malade : il diagnostiqua une fièvre putride et bilieuse : sans ordonner un traitement, il laissa au chirurgien Morel, rappelé en consultation, une ordonnance assez vague : celui-ci, après le départ de son confrère, posa au marquis des vésicatoires dont l’efficacité amena une amélioration sensible : on était au 24 janvier.

Le soir de ce même jour, vers huit heures, M. de la Guyomarais, presque rassuré, se trouvait avec sa femme et Agathe dans le salon du rez-de-chaussée : cette pièce a deux fenêtres se faisant face, l’une sur la cour, l’autre sur le jardin potager. M. de la Guyomarais s’efforçait de faire partager aux siens l’espoir de la guérison prochaine de son hôte ; tous trois causaient presque à voix basse, lorsqu’un coup violent frappé au volet fermé de la fenêtre du jardin, les fit tressaillir en même temps qu’une voix qu’on ne reconnut pas criait du dehors :

— Si vous avez quelque chose à cacher, pressez-vous : une fouille sera faite cette nuit.

Presque au même instant Saint-Pierre se présenta à la porte du salon et pria M. de la Guyomarais de monter à la chambre du marquis : celui-ci, dont la fenêtre donnait, nous l’avons dit, sur le potager, avait entendu l’avertissement et s’en montra fort ému ; il prit la main de la Guyomarais :

— C’est mon arrêt de mort que cette voix vient de prononcer, dit-il, et peut-être celui de votre famille si l’on me trouve chez vous. Faites-moi transporter dans la forêt, à l’abri de quelque hutte abandonnée par les charbonniers…

— Ce serait vous tuer.

— Alors, reprit la Rouerie, quittez votre maison, afin que l’on n’y trouve que moi.