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Le 2 mars 1793, en revenant de Saint-Servan, où il avait donné à Lalligand ses derniers ordres, Chévetel trouva les habitans de la Fosse-Ingant très émus : ils venaient de recevoir secrètement l’avis que, au cours de la nuit suivante, une perquisition devait avoir lieu au château. Les filles de Desilles suppliaient leur père de s’éloigner : Chévetel « rassura tout le monde et traita ces craintes de chimériques, ajoutant que lui-même allait souper très tranquillement et passer la nuit à la Fosse-Ingant ». Son calme rendit aux jeunes femmes un peu de sang-froid et la soirée fut tranquille ; mais à peine Chévetel s’était-il retiré dans sa chambre qu’un « nouvel émissaire vint prévenir les dames Desilles que le détachement chargé de la perquisition avait quitté Saint-Malo en même temps que lui, et qu’il n’avait d’autre avance que celle que peut prendre un homme pressé sur un corps militaire en marche. » Mme de Virel, qui reçut l’avis, le transmit immédiatement à son père, et Desilles, cédant à regret aux sollicitations de sa femme et de ses filles, alla demander asile à son ami, M. de Cheffontaine, au château de la Ville-Bague, voisin de la côte : on pouvait de là, en cas d’alerte, monter dans quelque barque amarrée au havre de Rotheneuf et gagner rapidement le large.

Ainsi rassurée sur le sort de son père, Mme de Virel pensa à prévenir également Chévetei : celui-ci dormait d’un sommeil paisible. Réveillé, mis au courant de la fuite de Desilles, « il s’en montra excessivement contrarié », affirmant que personne à la Fosse-Ingant ne courait le moindre danger et que la perquisition, si elle avait lieu, ne serait qu’une formalité sans conséquence.

— Où donc s’est réfugié Desilles ? interrogea-t-il.

— Je l’ignore, répondit Mme de Virel.

— Ah ! madame, qu’avez-vous fait ? Vous perdez votre père et moi ; je l’aurais sauvé, j’en suis sûr ! Pour ma part, je ne vous quitterai pas. — Mme de Virel, interdite, émue de tant d’énergie et de dévouement, se retira les larmes aux yeux, renonçant à vaincre l’obstination de cet héroïque ami.

A la pointe du jour, Lalligand se présenta au château : il était accompagné de François Chartier, juge de paix du canton de Cancale, de l’inévitable Burthe, et d’un détachement de cent hommes, sous le commandement du lieutenant Cadenne, qui plaça des postes à toutes les issues. Lalligand commença par visiter la maison et ses dépendances, mit toutes les personnes présentes en état d’arrestation, et les consigna dans le château, sous la