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Fonchais, et, sous l’escorte d’un peloton de gendarmes, on prit la route de Saint-Malo. Les pauvres femmes pleurèrent, dit-on, en entendant se refermer derrière elles la porte de cette propriété où s’était passée leur enfance : elles durent longtemps fixer des yeux le toit de cette maison où elles laissaient leur mère, seule, l’esprit égaré, sans assistance ; enfin, à la descente de la Tonte-nais, un vallonnement de la route leur cacha le groupe de vieux arbres, pleins de guis, dont s’entoure la Fosse-Ingant ; elles se recueillirent et se mirent à prier : leur calvaire commençait.

On écroua les prisonniers au château de Saint-Malo, et seulement lorsqu’il les sut enfermés derrière ces formidables murailles, Chévetel respira, enfin délivré de la contrainte qu’il s’était imposée. Mais, dans la terreur que lui inspirait le sentiment confus de son ignominie, il se voyait partout en butte au poignard de quelque justicier : il n’osait rentrer à Paris où se trouvaient Fontevieux et Pontavice ; il fallait que ces deux hommes disparussent : il vivait dans l’angoisse de les voir, tout à coup, se dresser devant lui et lui demander compte de sa trahison. Déjà il avait pressé Lalligand, — il ne se mettait jamais en scène, — de dénoncer au ministre les deux aides de camp du marquis : il avait spécifié que Fontevieux, caché sous le nom de Le Petit, habitait à Paris, place de la Révolution, chez le citoyen Gogi ; que Pontavice logeait avec sa femme rue du Parc-Royal, à l’hôtel d’Orléans, tenu par un nommé Filhastre ; mais tant que les deux jeunes gens ne seraient pas sous les verrous, il refusait de s’aventurer dans Paris. Enfin, vers le milieu de mars, parvint à Saint-Servan la bienheureuse nouvelle.


Je m’empresse, mon camarade, écrivait le ministre à Lalligand, de vous apprendre que les deux coquins sont dedans ; l’aide de camp s’est enferré jusqu’aux oreilles, l’autre s’est assez bien défendu… Il est instant 1° que Chév… parte pour Paris à l’effet de donner des renseignements nécessaires sur ces deux individus et d’ailleurs pour se mettre en sûreté, car, malgré les précautions que le comité a prises, il serait possible que l’aide de camp écrivit en Bretagne. 2° Il faut hâter l’envoi des détenus à Paris ; je vous adresse un ordre du Comité…


Fontevieux s’était enferré, en effet : dans un premier interrogatoire, il s’était donné comme négociant, avait nié toute participation au complot de la Rouerie, et prétendait que les notes découvertes à la Fosse-Ingant n’étaient pas tracées de sa main. N’ayant pu cependant nier contre l’évidence, il avait imaginé de