révéler l’existence d’un frère qui lui ressemblait si parfaitement que toujours on les avait pris l’un pour l’autre ; leur écriture même était de tous points semblable ; ce frère, dont il était sans nouvelles depuis longtemps, avait, supposait-il, compté au nombre des conspirateurs… Pontavice s’était plus habilement défendu ; mais l’important était que ces dangereux amis du marquis fussent en prison : ceci ne leur manqua point, et Chévetel, à peu près rassuré, put, sans trop d’appréhensions, rentrer à Paris.
Cependant Lalligand s’occupait de transférer à Rennes les prisonniers de la Fosse-Ingant pour les réunir à ceux de la Guyomarais : il ne négligeait pas de se faire valoir et de vanter son habileté et son courage.
Je suis, écrivait-il avec une grâce familière, secrètement prévenu que l’on fera des tentatives pour m’enlever mes prisonniers de Saint-Malo et pour m’assassiner. Mande-moi donc s’il faut tout emmener à Paris ; je le crois indispensable : rien ne déconcerte autant l’aristocratie. Mon collègue vous verra bientôt : il vous dira ce que je ne peux même confier à un courrier extraordinaire. L’affaire que nous travaillons est majestueuse ; mais, f… ! il fait chaud où je suis : les b… me convoitent avec admiration. Pauvre b… de Morillon ! s’il n’y prend garde, il laissera ses os en Bretagne ; je tiendrai bon si vous me soutenez… si vous me lâchez, je suis f… !
L’étrange agent du Comité de sûreté générale cherchait, d’ailleurs, à duper tout le monde : cette inquiétude de se voir enlever ses prisonniers n’était pas plus sincère que le reste : la feinte appréhension de ce danger imaginaire devait lui servir d’excuse dans le cas où les dames Desilles se décideraient enfin à racheter leur liberté. Comme elles semblaient n’y point songer, Lalligand se vit dans l’obligation de préciser sa combinaison. On devait quitter Saint-Malo le 12 mars. Lalligand prit soin de ne commander qu’une très faible escorte : au moment du départ, s’approchant de Mme de Virel, il lui montra la sacoche contenant les papiers saisis à la Fosse-Ingant :
— Mon cabriolet, dit-il, précédera le convoi : j’y vais prendre place avec Burthe : il est peureux comme un lièvre ; embusquez sur le chemin deux hommes déterminés, et, au premier coup de pistolet, — je réponds de lui, — il se sauvera de toute la vitesse de ses jambes : resté seul, je me laisserai arracher ces papiers, je serai censé n’avoir cédé qu’à la violence, et Burthe ne manquera pas de jurer qu’il a vu toute une armée…
Cette fois encore les pauvres femmes ne comprirent pas :