Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/538

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vaisseaux de guerre des belligérans peuvent-ils séjourner dans les ports et dans les eaux territoriales du neutre ? On peut toutefois dégager de ce débat deux principes généraux : 1° Un État neutre a la faculté, mais non l’obligation d’accorder à cette catégorie de navires le droit de séjourner dans les mers territoriales ; 2° en cas de détresse, l’asile ne doit pas leur être refusé.

I. On déroge au droit de la guerre en accordant à l’Etat neutre cette faculté puisque, dans les guerres continentales, les forces militaires des belligérans ne peuvent être reçues sur le territoire neutre sans y être internées et désarmées. Cette dérogation s’explique non seulement par la nature spéciale des rapports maritimes, mais encore parce que les bâti mens de guerre représentent, en quelque lieu qu’ils se trouvent, l’Etat auquel ils appartiennent. Les journaux du 15 mai annoncent que le cabinet de Washington interpellera le gouvernement belge « sur le départ du navire espagnol Ravenna avec un chargement d’armes et de munitions de guerre ». On pourrait reprocher à ce gouvernement d’avoir permis au Ravenna de s’équiper dans un port belge, mais non de l’avoir laissé partir avec son chargement.

Toutefois l’Etat neutre ne peut user de cette faculté qu’à la double condition de placer les belligérans sur un pied d’égalité complète et de ne leur laisser commettre aucun acte d’hostilité. Les autorités françaises ont agi de la façon la plus irréprochable en recevant le même jour dans le port de Saint-Pierre (Martinique) le croiseur américain Harvard, les torpilleurs espagnols Furor et Terror. On apprend, en outre, coup sur coup : 1° que le Harvard est entré à Saint-Pierre « dans le dessein supposé d’expédier des télégrammes à Washington » ; 2° que le gouvernement des Etats-Unis nous demandera des explications « au sujet du retard subi par les dépêches américaines annonçant la présence de l’escadre espagnole dans les parages de la Martinique[1] », révoquera la concession du câble français et le coupera si des explications satisfaisantes ne sont pas données dans les vingt-quatre heures. Mais, si le Harvard avait, d’aventure, tenté d’abuser de notre territoire soit pour concerter des mesures offensives ou défensives, soit même pour correspondre avec le ministère de la

  1. Le fait est mal éclairci : d’après des télégrammes ultérieurs, c’est le capitaine du Harvard qui se serait lui-même abstenu d’envoyer ces dépêches, parce qu’elles devaient passer par Fort-de-France, où se trouvait un torpilleur espagnol. Nous ne comprenons pas bien ce qu’aurait voulu dire ce capitaine.