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l’armée des Princes. Bien peu osaient braver le danger et attendre, dans leurs châteaux, la fin de la tourmente.

De ce nombre était le comte de Ranconnet de Noyan qui, par deux fois déjà, a figuré dans notre récit. Il avait été l’un des plus intimes conseillers du marquis ; il lui avait offert l’hospitalité à son château de la Mancellière ; et, lorsqu’il apprit l’arrestation des habitans de la Guyomarais et de la Fosse-Ingant, il lui fut aisé de prévoir que son tour viendrait bientôt. Il fit pourtant bonne contenance. Sceptique, parfaitement égoïste, aimant ses aises au point de dédaigner le danger, il n’avait rien changé à ses habitudes, et son inséparable confident, Leroy, continuait à le magnétiser tous les matins et à accumuler sur lui le fluide nécessaire à l’existence de la journée. Quand Leroy boudait son maître, — ce qui arrivait fréquemment, — un autre médium, nommé Clavet, le suppléait dans ses délicates fonctions. Avec ces étranges personnages vivaient, à la Mancellière, la fille du comte de Noyan, Mme de Sainte-Aulaire, et le fils de celle-ci, Louis de Sainte-Aulaire, alors âgé de quinze ans.

La quiétude du vieux gentilhomme déconcertait la suspicion ; ses paysans d’ailleurs lui étaient dévoués et sa considération s’étendait fort loin dans le pays. Les autorités mêmes du district de Dol lui étaient personnellement bienveillantes, et, dans l’incertitude des événemens à venir, se souciaient peu d’encourir l’inimitié de la famille la plus puissante du canton. Une première visite domiciliaire à la Mancellière n’avait rien fait découvrir de suspect : les commissaires avaient procédé avec une certaine politesse et s’étaient retirés avec force excuses. Quelques semaines se passèrent ; M. de Noyan se jugeait à l’abri de toute nouvelle poursuite et sa fille elle-même reprenait confiance, quand, le 24 avril 1793, on vit arriver au château les gendarmes de Dol, escortés d’un détachement de la garde nationale, et porteurs d’un mandat d’arrêt délivré contre Ranconnet-Noyan et Leroy, son secrétaire. Le commandant de la gendarmerie exposa que, six jours auparavant, en procédant à une perquisition chez un bourgeois de Dol, nommé la Patinière, on avait découvert, maladroitement cachée derrière une glace, la copie du plan de l’association bretonne dressé en 1791 par la Rouerie et Noyan. Plusieurs expéditions en avaient été faites par Leroy pour les comités de l’association : celle que l’imprudence de la Patinière venait de livrer aux agens du gouvernement était une pièce