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à conviction plus que suffisante pour faire tomber la tête de M. de Noyan et celle de son secrétaire. Ils furent conduits tous les deux à la prison de Dol.

On les enferma dans la chambre du concierge, petite, obscure, donnant sur un préau infect, misérable bouge disposé pour les criminels du plus bas étage. Le comte de Noyan supportait l’aventure de fort bonne grâce et continuait à rire aux larmes des grossières plaisanteries de son fidèle Leroy. Mme de Sainte-Aulaire ne prenait pas si facilement son parti. A peine son père était-il en prison qu’avec un art admirable elle lui conquit l’intérêt de tous les hommes qui, depuis le geôlier jusqu’au maire de la ville, avaient pouvoir d’adoucir sa captivité. Mais là s’arrêtait l’influence des autorités locales ; pour obtenir d’autres résultats, il fallait s’adresser à de plus hautes puissances. L’occasion s’en présenta bientôt.

Lalligand-Morillon, après avoir remis ses prisonniers aux mains sûres de Fouquier-Tinville, avait reçu l’ordre de retourner en Bretagne, avec mission de « rechercher tous les conspirateurs cachés ou connus et de les faire mettre en état d’arrestation ». Instruit par l’expérience, il voulait, cette fois, faire grand et ne plus se dépenser en de mesquines spéculations. Le 20 mai, il était à Dol. Mme de Sainte-Aulaire l’apprit et résolut de tout tenter pour obtenir de lui un instant d’entretien. En demandant à le voir, la courageuse femme commettait, au dire de ses amis, une grande imprudence qu’elle payerait infailliblement de la perte de sa liberté : elle sollicita cependant une audience et l’obtint d’ailleurs sans difficulté.

On l’introduisit dans une chambre remplie d’armes de toute espèce. Lalligand lui-même, armé jusqu’aux dents, n’avait cependant point l’air féroce : il était jeune, d’un extérieur agréable, de manières distinguées. Il reçut Mme de Sainte-Aulaire avec politesse et « parut, racontait-elle plus tard, attacher du prix à se séparer à ses yeux de la tourbe révolutionnaire. » À ce signalement, nous reconnaissons l’homme qui déjà avait enjôlé les dames Desilles. Après avoir écouté longtemps et avec bonté la fille du comte de Noyan, il l’engagea à prendre courage.

— L’affaire de votre père est fort grave, dit-il ; un papier qu’on vient de remettre aujourd’hui même au district de Dol ne laisse aucun doute sur sa complicité ; mais peut-être pourrait-on faire disparaître cette pièce à conviction, et il n’en existe pas d’autre à ma connaissance.