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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/583

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Dans cette extrémité, sans argent et sans moyen de s’en procurer, Mme de Virel regrettait amèrement les deux cents louis dont, à la Fosse-Ingant, elle s’était départie au profit de Chévetel et que celui-ci avait empochés sans vergogne. Lalligand, instruit de l’incident, s’indigna, courut chez Chévetel, lui arracha, non sans menaces, une somme de cent louis dont les membres du Comité de sûreté générale voulurent bien, annonça-t-il, se contenter. Il est probable qu’il en garda pour lui une part. En somme, cette affaire à laquelle il donnait des soins depuis si longtemps, se soldait pour lui par un bénéfice minime : du moins il emportait l’estime de Mmes de Virel et d’Allerac qui sortirent de prison en le bénissant et en se reprochant de l’avoir méconnu.

En arrivant en Bretagne, elles trouvèrent leur maison dévastée : leur mère était folle et gardée dans un hospice, leur père venait de mourir de désespoir à Jersey : elles ne pouvaient demander asile à leurs cousines de Limoëlan qui, ayant elles-mêmes perdu leur père sur l’échafaud, avaient vu leur château séquestré et leurs biens saisis. Que devinrent-elles ? Nous l’ignorons ; elles disparurent, soit qu’elles eussent trouvé le moyen de gagner les Iles anglaises, soit, ce qui paraît plus probable, qu’elles se fussent retirées dans quelqu’une de ces communautés secrètes, refuges mystérieux des religieuses chassées de leurs couvens.

Mais un autre personnage sollicite notre attention. Qu’était devenu Lalligand-Morillon, que nous avons laissé en possession des pièces du procès qui lui avait été intenté pour fabrication de fausse-monnaie ? La joie du succès l’avait grisé, et devait lui être fatale. Tout alla bien pendant quelques mois ; soutenu par le crédit toujours grandissant de Bazire, — si manifestement associé à son cousin, qu’il se chargea de faire à la Convention, et sur les notes de celui-ci, le rapport sur l’affaire de Bretagne, — Lalligand se crut de force à braver le proverbe et à passer pour prophète en son pays. Il retourna à Digoin, traita sur le pied de la camaraderie le conventionnel Bernard, qui régentait cette partie de la France, exigea de lui la révocation des fonctionnaires qui lui déplaisaient et leur remplacement par quelques-unes de ses créatures. En peu de temps, notre homme procura par ce moyen plusieurs mises en liberté de suspects riches : chaque fois, l’affaire se soldait pour lui par l’achat de quelque domaine, « payé comptant suivant acte dressé chez le citoyen Duchêne, notaire à Digoin ». Il spécula de cette façon sur « les femmes Maublanc et Meyneaud,