tant d’importance à la ressemblance quand, d’autres fois, nous avons plaidé pour que le peintre ait toute permission de la sacrifier, s’il le faut, à la vie et à la liberté de la touche, mais qu’on observe que nous parlions alors de portraits de femmes. C’est de portraits d’hommes qu’il s’agit ici. Ce n’est point du tout la même chose. La raison d’être d’un portrait de femme, c’est sa beauté. La raison d’être d’un portrait d’homme, c’est son caractère. Chez un portrait d’homme, nous excusons tout trait, même accentué, toute observation, même appuyée, comme jadis dans le portrait de Renan par M. Bonnat, que l’artiste n’eût pu pousser plus loin sans tomber dans la caricature. Nous admettons tout, pourvu que le caractère de l’homme soit vivement rendu. Au contraire, jamais on n’excuse un trait ironique et souligné dans un portrait de femme, quand même il devrait faciliter la ressemblance. Ce que nous voulons avant tout, c’est la beauté. Or, la beauté a quelque chose de beaucoup moins personnel que le caractère. On peut la concevoir sans la ressemblance, et il faut la lui préférer. Mais il est bien difficile que le caractère individuel et particulier d’une figure soit exprimé sans qu’il traîne la ressemblance après soi. Les deux choses se confondent et sont-atteintes en même temps, si l’on trouve l’attitude propre du modèle et le geste qui n’est qu’à lui.
Nous avons dit que, pour le Christ, ce geste était de rompre le pain. C’est cette action en apparence peu considérable, mais révélatrice, que contemple M. Dagnan-Bouveret dans le portrait qu’il s’est fait de lui-même, au coin de son tableau les Pèlerins d’Emmaüs . Les deux autres personnages dont il a peint les portraits, la femme et l’enfant à genoux, ne regardent point exactement le Christ. Lui, debout dans son vêtement noir, les bras croisés, serrés, le front penché, il observe la scène inoubliable et éphémère, et s’efforce d’en enregistrer dans sa mémoire de coloriste les moindres détails. Supprimez par la pensée, ou cachez de votre vue, en vous servant de votre livret comme d’un écran, tout ce qui est la scène des Pèlerins proprement dite, en supposant que le tableau s’arrête à la colonne qui est à votre droite. Vous aurez une réunion de trois portraits. Leur attitude sera inexplicable, mais leur expression restera profonde. Ils ont vu le seul geste auquel, il y a dix-huit cents ans, on reconnut le Sauveur.
Le seul, auquel on le reconnaîtrait encore aujourd’hui. Notre démocratie est comme ces deux pauvres hères de disciples. Vainement on l’aborde sur la route et l’on marche du même pas