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qu’elle. Vainement on lui explique le sens sociologique des Écritures. Son cœur « brûle » peut-être, mais ses yeux ne reconnaissent point l’Apôtre. Ils le reconnaîtront quand il distribuera la richesse. Jamais les exhortations de l’Évangile que beaucoup rééditent aujourd’hui ne vont sans des miracles matériels que personne ne fait plus. Sans la multiplication des pains, qui eût écouté le Sermon sur la montagne ? Aussi aujourd’hui, privés de miracles, n’est-ce pas en vrais croyans que nous concevons avec nous, dans nos livres et dans nos tableaux, la figure de cet Inconnu divin que l’Humanité rencontra un soir sur sa route. Nous la gardons par prudence, par inquiétude de la nuit. « Demeure avec nous parce qu’il se fait tard ! » lui avaient dit les disciples, dans son intérêt et pour ne pas l’exposer seul aux hasards du voyage. La journée s’est encore avancée, depuis la soirée lumineuse d’Emmaüs, peinte par M. Dagnan-Bouveret. L’ombre est tombée. Les horizons se sont brouillés ; les silhouettes des choses, au loin dans la campagne, se sont éteintes. Le froid a gagné les cœurs. On ne distingue plus bien les unes des autres les figures du juste et de l’injuste, les formes de la fidélité et de la trahison. Alors, nous ne voulons point laisser partir encore le compagnon qui parle des choses saintes. Et, sans l’avoir encore reconnu pour notre Maître, sans trop savoir si c’est un homme ou un Dieu, seulement parce que ses paroles sont bonnes et sa présence réconfortante, nous lui redisons encore, après dix-huit cents ans écoulés, non pour sa sécurité, mais pour la nôtre : « Demeure avec nous, car il se fait tard… »


II

L’action générale d’un portrait étant trouvée, ce qu’il faut déterminer, c’est le sens de son éclairage et la gamme de sa couleur. En fait, tous les éclairages se ramènent à trois dispositions de la lumière. Ou bien la figure n’est éclairée que par un seul rayon lumineux intense, mais étroit, qui ne la frappe que d’un seul côté, ou bien elle est éclairée également de tous les côtés, comme dans les scènes de plein air sans soleil, ou bien elle est à la fois éclairée par la lumière diffuse de toutes parts et spécialement en un point par un foyer de lumière supérieur à tous les autres. Nous voyons très nettement en quoi diffèrent ces modes d’éclairage, si nous regardons les deux portraits du peintre norvégien,