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de la nationalité grecque. Par la bouche des prêtres de Delphes, Apollon réglait tout ce qui offrait quelque importance. Aucune nouvelle institution politique, aucun culte, aucuns jeux ne pouvaient être introduits sans son assentiment. Mais ce qui est ici remarquable, c’est encore la prédominance croissante de l’élément moral sur l’élément naturaliste. Aucune action extérieure n’est tenue pour suffisante : « c’est avec un cœur pur qu’il faut s’approcher de la divinité. » À celui qui a le cœur pur, une seule goutte suffit de la fontaine Castalie ; mais celui qui vient avec une mauvaise pensée, la « mer entière » n’effacera pas sa souillure. Déjà les vieux Hellènes avaient exprimé cette haute conception que tous les signes extérieurs qui révèlent la divinité ne sont rien, vis-à-vis de la voix divine qui se fait entendre au fond des consciences et qui ordonne d’être juste sans s’inquiéter des résultats. La religion se faisait la gardienne auguste de la justice. Si les Spartiates mettent à mort les hérauts de Xerxès, contrairement au droit des gens, les entrailles des victimes deviennent défavorables, et les prêtres déclarent que le héraut d’Agamemnon, Talthybios, a ressenti l’offense ; pour l’apaiser, deux hommes de Sparte, riches et nobles, vont en Asie s’offrir à Xerxès.

Se connaître soi-même et se juger moralement, c’est la sagesse qu’Apollon conseille. Le faible a la protection du dieu, le repentant a son pardon ; le fourbe ne recevra jamais sa lumière, le malfaiteur son assistance. Aucun État hellénique ne peut consulter l’oracle avec des intentions hostiles contre un des autres États helléniques ; le souvenir d’une guerre civile ne peut, par des trophées permanens, être perpétué dans le temple d’Apollon. Le sacerdoce delphique, formant lui-même une aristocratie spirituelle, était en rapport avec les hommes éminens des divers pays ; il désignait parmi eux « les meilleurs et les plus sages, » il encourageait les poètes, les historiens, les moralistes.

La religion grecque, malgré le préjugé contraire, fut intolérante : l’histoire d’Anaxagore, d’Alcibiade, de Périclès, de Phidias, enfin de Socrate, en est la preuve ; elle le devint surtout lorsque la Cité se sentit ébranlée et que le triomphe de la démocratie fit craindre, non sans raison, le renversement de toute autorité civile en même temps que religieuse. Les Athéniens eux-mêmes étaient parmi les plus religieux des Grecs et avaient un singulier respect pour les vieux rites ; mais, pour tout ce qui ne touchait pas directement à la religion, comment nier l’indépendance