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aujourd’hui et il ne saurait plus y avoir désormais un seul parti républicain ; il y en a plusieurs ; et il n’en serait autrement que si la République était en danger. Elle ne l’est pas. De quelque côté de l’horizon qu’on se tourne, rien ne la menace. Dès lors, l’union des républicains peut être un accident éphémère, mais elle ne deviendra pas un état permanent. Les cabinets de concentration duraient autrefois sept ou huit mois ; ils dureraient un peu moins aujourd’hui.

L’attitude du ministère en face de la Chambre aura une très grande influence sur l’évolution ultérieure de celle-ci. Que sera-t-elle ? Il semble que la question ne devrait même pas se poser, puisque le ministère a la majorité. Mais, quand même il ne l’aurait pas, quand même les élections auraient tourné contre lui, encore se devrait-il à lui-même et devrait-il à ses amis de venir exposer et défendre leur politique commune devant la Chambre renouvelée. Si cette politique est condamnée, il devra se retirer ; il n’aura pas autre chose à faire ; mais c’est une expérience dont on ne doit pas préjuger le résultat et qui n’est définitive qu’après un vote. Tous les précédens, ou peu s’en faut, sont d’ailleurs conformes à cette manière de procéder. On n’en a trouvé qu’un jusqu’ici dans notre histoire parlementaire qui fût en sens contraire. C’était en 1881 ; M. Jules Ferry était alors président du Conseil, et il venait de faire l’expédition de Tunisie, couronnée par le traité du Bardo. Tout le monde aurait dû lui en savoir gré, mais il s’en fallait de beaucoup qu’il en fût ainsi. Les opérations diplomatiques et politiques qui avaient amené l’établissement de notre protectorat sur la Régence étaient l’objet des critiques les plus acerbes. M. Jules Ferry voulut à la fois se justifier et se retirer, et, en prenant la parole devant la Chambre qui venait d’être élue, il annonça, qu’à l’issue du débat, il remettrait sa démission et celle de ses collègues entre les mains du Président de la République. Mais ce qui ne permet pas de faire de ce précédent une règle permanente, c’est qu’il s’expliquait par des circonstances particulières. M. Jules Ferry voulait se démettre parce que, depuis plusieurs années déjà, tous les ministères se trouvaient en fait subordonnés à M. Gambetta, qui avait la réalité du pouvoir sans en avoir les charges. Cette situation, à force de durer, était devenue intolérable pour tout le monde, et M. Jules Ferry, qui avait personnellement une volonté forte, se refusait à rester plus longtemps en tutelle. Son but était d’obliger M. Gambetta à sortir de l’irresponsabilité où il se complaisait, ce qui d’ailleurs a parfaitement réussi. La retraite anticipée du ministère, qui ouvrait une discussion en annonçant qu’il se désintéressait du résultat, avait jeté la Chambre dans une véritable