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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/717

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anarchie. Jamais on ne vit un désarroi pareil ! Les choses, aujourd’hui, ne se passeraient probablement pas tout à fait de la même manière ; mais, en 1881, rien n’avait été préparé en vue d’un dénouement quelconque, et le ministère s’étant dérobé, la Chambre sentit cruellement sa propre impuissance. Tout le monde présentait des ordres du jour et aucun n’était voté. Il y en eut, croyons-nous, jusqu’à vingt-trois. Dans l’affolement où ils étaient tombés, les députés couraient après M. Gambetta pour le supplier, en termes de plus en plus pressans, de les tirer d’embarras. Contraint et forcé, le malheureux dictateur se décida à proposer lui aussi un ordre du jour, ou plutôt à reprendre un de ceux qui avaient été rejetés, et cet ordre du jour fut voté à une majorité considérable. Il prit alors le pouvoir et ne le garda pas trois mois. Tel est le précédent de 1881 : on voit qu’il ne pourrait servir en 1898 qu’à la condition d’être considérablement amendé.

Pendant quelques jours, l’opinion a manifesté une certaine inquiétude, ne sachant pas quelles seraient les résolutions du ministère : on a appris enfin par une note officieuse qu’il se présenterait purement et simplement devant le Parlement : il n’avait pas autre chose à faire. Plusieurs jours seront nécessaires à la Chambre pour se constituer ; aussitôt après, aura lieu un grand et long débat où tous les partis exposeront leur programme et découvriront leur drapeau. Nous ne sommes pas bien sûrs que ces manifestations en sens contraires jettent de très vives clartés sur la situation ; peut-être paraîtra-t-elle, après coup, plus complexe et plus compliquée encore ; ce conflit d’opinions et de prétentions diverses ne sera ni très rassurant, ni très édifiant ; mais tous ces dangers seraient accrus si le gouvernement ne descendait pas à son tour dans l’arène pour y prendre attitude à la tête du parti modéré. Ce parti compte assurément, en dehors du ministère lui-même, des orateurs très distingués, parfaitement capables et dignes de parler en son nom, et c’est sans doute ce qu’ils ne manqueront pas de faire ; mais aucun ne peut tenir dans le débat la place de M. Méline. De deux choses l’une : ou le ministère aura la majorité, et c’est le plus vraisemblable ; ou il ne l’aura pas. S’il ne l’a pas, quel inconvénient y a-t-il à se retirer après vingt-six mois de gouvernement ? On n’enlèvera pas à M. Méline l’honneur d’avoir présidé un des ministères les plus longs de la République, sinon même le plus long. Quand on en est là, on peut tomber, et pour peu que l’on tombe bien, on a toutes les chances du monde de se relever à brève échéance.

Toutefois, si de pareilles questions sont discutées, il faut bien avouer que cela dénote une certaine obscurité dans la situation actuelle.