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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/733

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l’obéissance est d’autant plus indispensable, en pareil cas, que le nombre des activités à faire converger au même but est plus considérable.

Or, maintenant, les armées sont extrêmement nombreuses ; ce sont des multitudes qu’il s’agit d’amener à l’unité d’action. La nécessité de l’obéissance ne s’est donc jamais imposée plus impérieusement à une armée. Mais, d’autre part, à mesure que cette nécessité s’impose davantage, l’évolution démocratique tend à la rendre de plus en plus incompatible avec les penchans de l’individu et contraire à l’expansion de sa vie intellectuelle et passionnelle. Le propre de l’esprit démocratique est, en effet, d’inciter un peuple à la libre discussion par tous les citoyens des mesures qui concernent le bien public. Une pareille tendance n’a rien en soi que de légitime et d’avantageux pour le peuple, quand elle est accompagnée d’une tendance égale à développer l’instruction et l’éducation publiques et quand, en outre, ces deux fonctions sociales ont réussi à élever la culture de toutes les âmes au même niveau de discernement et de sagesse.

Alors, en effet, cette culture a pour résultat inappréciable, non pas d’assurer la même somme de connaissances à chaque citoyen, — car le même enseignement, fût-il intégral, est soumis à la sélection des intelligences diverses et inégales, — mais de rendre chacun capable de reconnaître son incompétence dans les matières qui lui sont demeurées inaccessibles, de lui donner la conscience de sa juste valeur intellectuelle et, avec l’amour de son pays, la crainte de lui nuire en se mêlant de discuter les intérêts supérieurs dont il n’a pas acquis une suffisante connaissance. Ces intérêts sont remis spontanément aux citoyens compétens par ceux qui ne le sont pas. Il faut avouer que ce bienfait moral de l’enseignement en est le fruit à la fois le plus précieux pour le bien public et aussi le plus lent à se généraliser. Un nombre relativement minime de jeunes gens l’ont recueilli à l’âge adulte, et ce n’est pas à l’égard de ceux-là que le problème de la discipline militaire offre de sérieuses difficultés. Notre démocratie n’est pas assez avancée dans le progrès de ses institutions sociales pour que chaque citoyen soit renseigné exactement sur sa compétence, pour qu’il ait acquis la conscience de l’immensité de connaissances nécessaires à la discussion de la plupart des affaires publiques.

C’est dans ces conditions défavorables que se manifeste aujourd’hui l’esprit démocratique en matière disciplinaire, comme