La même fusion se manifeste entre les aptitudes intellectuelles requises pour la science de la guerre et les aptitudes d’ordre purement scientifique. C’est une école de savans qui défraie les cadres de l’artillerie et du génie. Dans les mathématiques, dans la mécanique, soit rationnelle, soit appliquée, le corps des officiers a formé des spécialistes de premier ordre. L’accès du haut enseignement est ouvert surtout par la voie des concours pour l’obtention des degrés et des diplômes universitaires et de ceux des écoles libres. Or ce mode d’admission aux études supérieures et de contrôle des capacités est tout à fait conforme à l’esprit qui anime la Déclaration des droits de l’homme. Il faut donc reconnaître que les principes démocratiques favorisent au plus haut point la dérivation des aptitudes scientifiques vers les carrières civiles, du moins vers le grand nombre de celles-ci qui exigent des connaissances positives et exactes. Les jeunes gens n’utilisent leurs diplômes dans le service militaire qu’en vue d’en abréger le plus possible la durée et d’être le plus tôt possible rendus à la vie civile.
Enfin, l’adoucissement des mœurs a progressé, malgré toutes les secousses révolutionnaires où il semble que la férocité primitive ait émergé du fond bestial qui n’a jamais cessé de relier notre espèce à la série animale. Ce dissolvant de l’esprit militaire, par l’infiltration due au régime scolaire uniforme de l’enfance jusqu’à la puberté, a pénétré peu à peu les habitudes de l’homme de guerre ; son tempérament même en a ressenti l’influence. Dans l’ancienne France, l’esprit militaire, presque vierge encore, grâce à une éducation dure et une instruction grossière, en imprimait la rudesse au caractère. Les officiers (je ne parle pas d’un Turenne ou d’un Vauban) manquèrent souvent de culture, et dans les rangs les soudards abondaient. La sauvagerie propre à la guerre, dont l’idéal est pour les adversaires de se nuire mutuellement le plus possible, animait encore, même en temps de paix, tous les hommes voués au métier des armes ; les châtimens étaient cruels. Il n’en est plus ainsi ; le rapport de l’individu à la fonction s’est peu à peu transformé. Sans doute, dans la fureur du combat, l’homme et l’agent de meurtre s’identifient ; mais c’est un éclair de férocité qui s’éteint au repos. Le soldat ne fait plus guère que se prêter à son état pour un temps déterminé ; les réengagemens se font rares ; chacun n’aspire qu’à rejoindre ses foyers. Quant aux officiers, hors de leur service ils n’abdiquent pas leur caractère propre, ils le conservent, mais intimement uni aux mœurs de la société civile où l’air martial,